mardi 20 juillet 2010

Jean-Paul Sartre : Soi-même comme un autre

Pierre Besses Lectures croisées
Université de Toulouse Mirail. GREP. Mai 2010


Soi-même comme un autre :
défense et illustration de la théorie du sujet chez Jean-Paul Sartre.
Les Mots (et l’idiot de la famille).



1) 40 ans après : le sujet sartrien réhabilité par le retour en force des théories critiques.
Un premier paradoxe : c’est par le retour en force des théories critiques après quarante ans d’hégémonie libérale que le sujet sartrien redevient actuel. En effet, Razmig Kencheyan indique dans sa cartographie des nouvelles pensées critiques que la quatrième opération théorique qui caractérise le structuralisme, et qui est la critique du « sujet » à laquelle il se livre, qui débouche sur un « antihumanisme ». Dans la conclusion de Les Mots et les Choses (1966), Foucault annonce la mort de l’homme, « comme à la limite de la mer un visage de sable » : « L’homme, affirme Foucault, n’est pas le plus vieux problème ni le plus constant qui se soit posé au savoir humain. [...]. L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine ». Althusser emploie quant à lui l’expression d’ « antihumanisme théorique », notamment au cours d’un début qui l’oppose à l’ « humaniste » Roger Garaudy lors du comité central du Parti communiste à Argenteuil de 1966. Pour Althusser, l’histoire est « un procès sans sujet ni fin ». Si une lutte des classes a bien lieu, nul sujet de l’émancipation n’est est le moteur conscient. Dans les Mythologiques, Lévi-Strauss évoque le sujet, « cet insupportable enfant gâté qui a trop longtemps occupé la scène philosophique, et empêché tout travail sérieux en réclamant une attention exclusive ». La cible de l’ « antihumanisme » de Foucault, Althusser et Lévi-Strauss est l’humanisme en général, mais plus particulièrement l’existentialisme sartrien. Sartre est le rival de la génération philosophique précédente, auquel les structuralistes s’affrontent à cette époque.
Le sujet selon Badiou contribue à redonner à Sartre toute son actualité. En effet, le « sujet » procède de l’événement. Il en est une conséquence possible, sans toutefois en découler mécaniquement. Peter Hallward, l’auteur d’un livre de référence sur la pensée de A. Badiou, définit le sujet de A. Badiou comme un « individu transfiguré par la vérité qu’il [l’événement] proclame ». L’individu exposé à un événement se transforme en sujet, c’est-à-dire qu’il encourt un processus de « subjectivation » sous condition de l’événement. Pour A. Badiou, la subjectivation comporte (au moins) deux caractéristiques. La première est qu’elle est collective. Plus précisément, A. Badiou soutient que la subjectivation qui découle d’un événement politique est toujours collective. Dans d’autres domaines où des « procédures de vérité » ont lieu, tels que les arts ou les sciences, elle peut ne pas l’être. Par ailleurs, la subjectivation ne présuppose aucune essence humaine préétablie. Elle est consécutive à l’événement, et implique une décision de la part de l’individu de demeurer fidèle à l’événement. C’est ce que A . Badiou nomme la définition de l’homme comme « programme », c’est-à-dire comme toujours ouvert et à venir. A. Badiou retrouve ici les positions de ses deux maîtres que sont Sartre et Althusser. L’affirmation du premier selon laquelle « l’existence précède l’essence » consiste à considérer que l’homme construit son essence alors qu’il est déjà au monde. Pour A. Badiou, cette construction s’effectue à l’ombre d’un événement fondateur. La conception de l’homme comme programme renvoie en outre à l’ « antihumanisme théorique » d’Althusser, qui constitue une critique radicale de l’essentialisme humaniste (que A. Badiou baptise « humanisme animal »). Ainsi, soutient A. Badiou, « l’homme s’accomplit, non comme plénitude, ou résultat, mais comme absence à soi-même, dans l’arrachement à ce qu’il est, et c’est cet arrachement qui est au principe de toute grandeur aventurière ».
Enfin, sa théorie du sujet retrouve toute sa pertinence dans la théorie de la reconnaissance. En effet, pour Razmig Kencheyan, celle-ci est exprimée par Charles Taylor dans La politique de la reconnaissance. Né à Montréal d’un père anglophone et d’une mère francophone, Taylor est l’un des penseurs contemporains du « multiculturalisme ». Il a pris part à ce titre, en qualité d’expert, à des commissions visant à réfléchir au statut de l’identité québécoise au sein du Canada. Sa conception de la reconnaissance a de ce fait bénéficié d’une caisse de résonance politique. La problématique de la reconnaissance remonte cependant à plus loin. Hegel – et sa dialectique du maître et de l’esclave – est une origine habituellement évoquée. L’interprétation qu’en donne Alexandre Kojève dans son Introduction à la lecture de Hegel (1947) en particulier a eu une influence considérable, dans le monde francophone aussi bien qu’anglo-saxon. En remontant davantage encore dans le temps, une source possible de la théorie de la reconnaissance est Rousseau. Dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, celui-ci affirme : « Sitôt que les hommes eurent commencé à s’apprécier mutuellement, et que l’idée de la considération fut formée dans leur esprit, chacun prétendit y avoir droit et il ne fut plus possible d’en manquer impunément pour personne ». L’idée que le soi (moderne) est fondé sur l’ « appréciation mutuelle » est au cœur de cette théorie. Parmi les précurseurs plus contemporains, on trouve des auteurs comme Georges Sorel, Jean-Paul Sartre, Frantz Fanon, George Herbert Mead et Donald Winnicott.
Le point de départ de la théorie de la reconnaissance est simple. Le voici énoncé par Taylor : « une personne ou un groupe de personnes peuvent subir un dommage ou une déformation réelle si les gens ou la société qui les entourent leur renvoie une image limitée, avilissante ou méprisable d’eux-mêmes. La non-reconnaissance ou la reconnaissance inadéquate peuvent causer du tort et constituer une forme d’oppression ». Selon Taylor, les identités dépendent pour leur constitution du fait d’être reconnues par autrui. Leur ontologie est intersubjective, elles n’ont pas d’existence « en soi ». Ceci implique que si elles ne sont pas reconnues, ou si elles sont mal reconnues, leur formation s’opère dans de mauvaises conditions. Ce constat vaut aussi bien à l’échelle individuelle que collective (les deux sont en fait indissociables). Des groupes sociaux stigmatisés sont victimes d’une oppression « externe », qui les empêche d’accéder à certains statuts, mais également « interne », qui conduit les personnes concernées à disposer d’une image « avilissante » d’elles-mêmes. Pour Taylor, la reconnaissance est typique des sociétés modernes. Elle est sous-tendue par un principe fondamental de ces dernières, celui de l’égale dignité des individus. La reconnaissance n’est autre que celle de cette égale dignité, et des innombrables modes de vie auxquels elle donne lieu. La société féodale était quant à elle fondée non sur la dignité, mais sur l’honneur, lequel était inégalement distribué entre les individus.

2) La psychanalyse sartrienne au risque de l’offensive anti-freudienne de Michel Onfray le nietzschéen.
Une seconde paradoxe : si le sujet sartrien revient sur le devant de la scène philosophique au début du XXIème siècle post-moderne, c’est qu’il définit une psychanalyse existentielle capable de résister à l’offensive anti-freudienne de Michel Onfray.
Sartre, spécialiste en inachèvement, consacre un chapitre de l’Etre et le Néant, Essai d’ontologie phénoménologique, Gallimard, 1943, à la « psychanalyse existentielle » -IVème partie, « Avoir, être et faire », chapitre 2, « faire et avoir », premier développement, « La psychanalyse existentielle ». Baudelaire, puis Saint Genet comédien et martyr, enfin L’idiot de la famille, 1500 pages malgré l’inachèvement, constituent autant d’exercices concerts de cette révolution dans la psychanalyse par laquelle, selon moi, il laissera un nom dans l’histoire de la philosophie. Sous le Corydrane, l’alcool et autres excitants qui embrument les développements, sous le brillant normalien, avec le génie propre d’un homme qui transfigure tout ce qu’il touche en texte, on suppose une intuition géniale qui reste une potentialité insuffisamment inexploitée : une psychanalyse sans l’inconscient freudien, qui garde à la conscience, le pour-soi dans le jargon sartrien, un rôle architectonique dans la constitution de soi.
Karl Popper, l’auteur de La société ouverte et ses ennemis, 1945, Seuil, un ouvrage qui installe le philosophe en fondateur de l’anti-totalitarisme du XXème siècle, publie La Connaissance objective en 1972, dans lequel il considère la psychanalyse comme l’astrologie ou la métaphysique, autrement dit comme des visions du monde reposant sur des propositions non scientifiques parce que incapables de se soumettre à une procédure épistémologique qui supposerait leur falsifiabilité : le freudisme échappe à la vérification de ses hypothèses par la reconduction régulière d’expériences susceptibles d’en vérifier la validité.
Ludwig Wittgenstein offre une lecture singulière de Freud qui se proposait de démythologiser le monde a finalement ajouté des mythes aux mythes. D’où un paradoxe légitimant le rangement de l’œuvre de Freud et de la psychanalyse du côté des mythologies postmodernes. Et pourtant dans les sixties, Catherine Clement remarque que Sartre était celui qui refusait Freud. En 1960 paraît la Critique de la Raison dialectique ; Sartre, dans l’introduction, y renvoie dos à dos les philosophes de la psychanalyse et les « schématiseurs » marxistes. La psychanalyse n’a pas de principes, écrit-il, car elle n’a pas de base théorique ; c’est tout juste si elle s’accompagne –chez Jung et dans certains ouvrages de Freud – d’une « mythologie parfaitement inoffensive ». Pour les jeunes lacaniens, son compte était bon, malgré l’athlétisme philosophique de ce gros ouvrage. La gloire de Sartre ne refleurit réellement qu’en mai 68 ; en 1970, la parution de l’Anti-Œdipe, de Gilles Deleuze et Félix Guattari, lui donna raison contre Freud. Ces vieilles affaires demandent à être regardées de plus près.
1943 : L’Etre et le Néant. L’essai d’ontologie phénoménologique s’inscrit à la suite du petit traité sur l’imaginaire ; Sartre est de sa génération philosophique, subjuguée par Husserl. Son tempérament propre le porte vers la morale, obsédante exigence qui lui fait ajouter à Husserl Kierkegaard, puis Hegel, et enfin Marx. Mais c’est d’une vraie psychologie métaphysique que s’occupe ce lourd volume entièrement consacré à chercher une liberté « en situation ». La psychanalyse « existentielle » se glisse dans les arcanes de la notion de « situation », pour en démêler les fils subjectifs ; auparavant, Sartre, tissant les analyses de la mauvaise foi, aura tourné autour du pot de l’inconscient, pour le nier comme principe et comme substance, au bénéfice de ce que les psychanalystes en leu langage appelleraient plutôt le subconscient. Au moins, la volonté morale sera de la partie.
C’est donc avec une joyeuse résolution qu’il oppose in fine la psychanalyse existentielle – celle qu’il veut fonder, la bonne – et la psychanalyse empirique – celle de Freud et des psychanalystes en général, la mauvaise. Certes, entre les deux, Sartre développe brillamment de communes racines. L’une et l’autre tiennent toutes les manifestations de la vie psychique pour des rapports symboliques ; l’une et l’autre « considèrent l’être humain comme une historialisation perpétuelle et cherchent, plus qu’à en découvrir des données statiques et constantes, à déceler le sens, l’orientation, les avatars de cette histoire ». L’une et l’autre sont à la recherche d’une situation. Enfin, l’une comme l’autre déboutent le sujet de toute capacité à procéder lui-même à ces enquêtes sur son histoire.
Là, dit Sartre, s’arrêtent les ressemblances. Et le voici parti dans une admirable définition de la psychanalyse existentielle ; admirable parce qu’en tout point elle correspond à ce que les psychanalystes nomment....psychanalyse. Admirable parce que les critiques de Sartre contre la psychanalyse dite « empirique » sont celles que formulait déjà dès l’avant-guerre la jeune génération des psychanalystes en formation : admirable enfin parce qu’il ne sait pas qu’en croyant attaquer une discipline désuète, il la défend et il lutte contre les fantômes.
Voyons donc quel est ce moulin freudien contre lequel part en guerre Don Quichotte : d’abord, il n’aime pas la libido, terme psychobiologique, général et abstrait. La libido n’existe pas avant le « surgissement originel de la liberté humaine », « elle n’est rien, dit-il, en dehors de ses fixations concrètes, sinon une possibilité permanente de se fixer n’importe comment sur n’importe qui ». L’on ne saurait dire mieux : plus tard, Lacan ne décrira pas autrement l’objet du désir et citera ce poème de Rimbaud dont l’intitulé aurait plu à notre philosophe, « A une raison » : « Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne : le nouvel amour ! ».
Sartre n’aime pas non plus le complexe, qui est selon lui « choix ultime ; il est choix d’être et se fait tel ». Mais absolument ; il n’y a pas de psychanalyse qui de nos jours contredirait cette définition ; le vieux mot de « complexe », d’ailleurs largement tombé en désuétude, désigne bel et bien le choix d’une névrose qui demande, pour s’accomplir, un certain assentiment du sujet.
Même jeu avec l’intuition : là réside, pour Sartre, la différence majeure entre « sa » psychanalyse existentielle et l’autre, l’insupportable empirique. Le sujet est illuminé, il se connaît, il se voit ; il ne prend donc pas conscience, il prend connaissance, dit Sartre. En effet, les psychanalystes anglo-saxons ont appelé ce phénomène, bien connu des analysants, l’insight, bref éclair lucide qui fait apparaître des pans de vie transformés brusquement en histoires. Et si, selon Sartre, il appartient à la psychanalyse existentielle de « revendiquer comme décisoire l’intuition finale du sujet », alors Don Quichotte n’a plus qu’à rengainer sa lance, car la psychanalyse existentielle n’est autre que la psychanalyse dans son histoire.
Ce à quoi s’attaque Sartre dans la psychanalyse, c’est en effet l’empirique : c’est la cure, la pratique. On le devine passionné par une méthode d’investigation intellectuelle permettant de décrypter un auteur et d’en écrire l’histoire totale, mais on pressent qu’il ne veut surtout pas puiser à la source même de la psychanalyse, c’est-à-dire le divan. Dans « empirique », il y a « expérience » : or, justement, celle-là, non ! Il la refuse. L’existentiel permet de faire passer muscade, et la psychanalyse « sartrifiée » devient s psychologie, voilà tout.
Qu’il s’agisse de Genet, de Baudelaire, de Flaubert ou de lui-même, Sartre, grâce à la méthode qu’il a formulée dans son premier livre de métaphysique, devient un admirable biographe. A la psychologie écolière des classifications cliniques, il substitue des catégories qu’il emprunte à la philosophie et qu’il ajoute à demi minutieuses enquêtes ; son intuition diabolique, c’est-à-dire son immense talent, fait le reste. Dans Saint Genet, Comédien et martyr, introduction aux livres de Jean Genet, il déploie les fastes dialectiques d’un tourniquet étourdissant entre le mal et le bien, méthode signée Hegel et concepts de la marque Kant ; dans L’idiot de la famille, il arpente inlassablement les terres du Second Empire, le jeu des figures parentales de Flaubert, s’immerge dans l’hystérie de son auteur et s’attache aux crises que décidément il adore, avant de bâtir avec la névrose objective une sorte de prêt-à-porter fait de Marx et de Freud réunis ; le « choix sacrificiel » de l’échec y est largement développé, et le tourniquet du « qui perd gagne » repris.
Modèles de psychobiographie », comme dirait Dominique Fernandez. Dans la Critique de la raison dialectique, croyant formuler une irrémédiable critique de la psychanalyse, Sartre en donne cette forte et juste définition : « En fait, [la psychanalyse] est une méthode qui se préoccupe avant tout d’établir la manière dont l’enfant vit ses relations familiales à l’intérieur d’une société donnée ». C’est ce qu’il fit dans Les Mots, avec simplicité, s’inscrivant superbement dans le genre classique des mémoires.
Tout ce chemin de révolte passionnée contre Sigmund Freud pour en arriver là : à l’autobiographie magistrale d’un honnête homme.
Relisons l’analyse de la mauvaise foi. C’est l’exemple d’une femme qui a rendez-vous avec un homme, et qui va devoir choisir entre le « oui » et le « non ». On cause ; paroles élevées, propos intellectuels sans danger. On lui dit qu’on l’admire, qu’on la respecte ; la dame évacue gentiment « l’arrière-fond sexuel », et laisse aller sa main, que l’on prend. Si elle retire sa main, elle choisit le « non » ; si elle la laisse, c’est le « oui » qui gagne. La jeune femme choisit de ne pas s’apercevoir qu’on lui a pris la main. « Le divorce du corps et de l’âme est accompli ; la main repose inerte entre les mains chaudes de son partenaire : ni conscience ni résistance – une chose ». Dans ce morceau d’anthologie que l’on croirait paraphrasé des émois de Mme de Rénal. Sartre, en Julien Sorel séducteur, se laisse apercevoir avec bonheur ; mais, plus encore, à travers les catégories psychologiques nettement dessinées – le corps et l’âme, le « ni...ni » dialectique, la « chose » - apparaît Sartre philosophe.
Et celui-là est à son tour, face au divan du psychanalyste, tout entier comme la main de la dame : ni consentant ni résistant, croit-il. Inerte : une « chose » .
Telle est en effet l’attitude de Sartre envers la psychanalyse : chosifié, tout contre, et de mauvaise foi. « L’acte de mauvaise foi est pour fuir ce qu’on ne peut pas fuir, pour fuir ce qu’on est », écrit-il encore dans l’Etre et le Néant. C’est la conscience elle-même. Et c’est ce que fait avec la psychanalyse le sujet Jean-Paul Sartre. Et s’il n’alla pas sur le divan où il aurait rencontré « pour de vrai » la psychanalyse existentielle, c’est sans doute qu’il n’en avait pas besoin. Il prit rendez-vous avec un psychanalyste, s’y rendit une première fois et n’y retourna pas. Choix inerte et passif, choix quand même, ce fut non. Il fit bien.
Pour affronter l’analyse, disent souvent les praticiens, il faut d’abord suffisamment souffrir. Ce n’est pas faire injure à Sartre de dire qu’il était trop profondément heureux pour aller voir de près ce qu’était la psychanalyse.

3) Michel Léinis, modèle d’une autocritique et de la méthode.
La singularité de cette psychanalyse existentielle est de se donner pour modèle l’écriture autobiographique de Michel Léinis dans L’Age d’Homme. En effet, Jean-Paul Sartre partage avec l’ethnologue de l’Afrique fantôme l’idée selon laquelle la littérature s’identifie au matador. Il tire du danger couru l’occasion d’être plus brillant que jamais et montre toute la qualité de son style à l’instant qu’il est le plus menacé : voilà ce qui m’émerveillait, voilà ce que je voulais être. Par le moyen d’une autobiographie portant sur un domaine pour lequel, d’ordinaire, la réserve est de rigueur – confession dont la publication me serait périlleuse dans la mesure où elle serait pour moi compromettante et susceptible de rendre plus difficile, en la faisant plus claire, ma vie privée – l’un et l’autre visent à se débarrasser décidément de certaines représentations gênantes en même temps qu’à dégager avec le maximum de pureté les traits, aussi bien à leur usage propre qu’afin de dissiper toute vue erronée de soi-même que pourrait prendre autrui. Pour qu’il y eût catharsis et que leur délivrance définitive s’opérât, il était nécessaire que cette autobiographie prît une certaine forme, capable d’exalter soi-même et d’être entendu par les autres, autant qu’il serait possible. L’un et l’autre comptent pour cela sur un soin rigoureux apporté à l’écriture, sur la lueur tragique également dont serait éclairé l’ensemble du récit par les symboles mêmes qu’ils mettent en œuvre : figures bibliques et de l’antiquité classique, héros de théâtre ou bien le Torero – mythes psychologiques qui s’imposaient à eux en raison de la valeur révélatrice qu’ils avaient eu pour eux et constituaient, quant à la face littéraire de l’opération, en même temps que des thèmes directeurs les truchements par quoi s’immiscerait quelque grandeur apparente là où ils ne savent que trop qu’il n’y en avait pas.
Faire le portrait le mieux exécuté et le plus ressemblant du personnage qu’ils étaient (comme certains peignent avec éclat paysages ingrats ou ustensiles quotidiens), ne laisser un souci d’art intervenir que pour ce qui touchait au style et à la composition : voilà ce qu’ils se proposent, comme s’ils avaient escomptés que le talent de peintre et la lucidité exemplaire dont ils sauraient faire preuve compenseraient la médiocrité en tant que modèle et comme si, surtout, un accroissement d’ordre moral devait pour eux résulter de ce qu’il y avait d’ardu dans une telle entreprise puisque – à défaut même de l’élimination de quelques-unes de leurs faiblesses – ils se seraient du moins montré capable de ce regard sans complexes dirigé sur soi-même.
Ce qu’ils méconnaissent, c’est qu’à la base de toute introspection il y a goût de se contempler et qu’au fond de toute confession il y a désir d’être absous. Se regarder sans complaisance, c’était encore se regarder, maintenir les yeux fixés sur eux au lieu de les porter au-delà pour se dépasser vers quelque chose de plus largement humain. Se dévoiler devant les autres mais le faire dans un écrit dont ils souhaitaient qu’il fût bien rédigé et architecturé, riche d’aperçus et émouvant, c’était tenter de les séduire pour qu’ils leur soient indulgents, limiter – de toute façon – le scandale en lui donnant forme esthétique. Ils croient donc que, si enjeu il y a eu et corne de taureau, ce n’est pas sans un peu de duplicité qu’ils s’y sont aventuré : cédant, d’une part, encore une fois à leur tendance narcissique ; essayant, d’autre part, de trouver en autrui moins un juge qu’un complice. De même, le matador qui semble risquer le tout pour le tout soigne sa ligne et fait confiance, pour triompher du danger, à sa sagacité technique.
Toutefois, il y a pour le torero menace réelle de mort, ce qui n’existera jamais pour l’artiste, sinon de manière extérieure à son sort (ainsi, pendant l’occupation allemande, la littérature clandestine, qui certes impliquait un danger mais dans la mesure où elle s’intégrait à une lutte beaucoup plus générale et, somme toute, indépendamment de l’écriture elle-même). Sont-ils donc fondés à maintenir la comparaison et à regarder comme valable leur essai d’introduire « ne fût-ce que l’ombre d’une corne de taureau dans une œuvre littéraire » ? Le fait d’écrire peut-il jamais entraîner pour celui qui en fait profession un danger qui, pour n’être pas mortel, soit du moins positif ?
Faire un livre qui soit un acte, tel est, en gros, le but qui leur apparut comme celui qu’ils devaient poursuivre. Acte par rapport à eux-mêmes puisqu’ils entendaient bien, le rédigeant, élucider, grâce à cette formulation même, certaines choses encore obscures sur lesquelles la psychanalyse, sans les rendre tout à fait claires, avait éveillé mon attention quand ils l’avaient expérimentées comme patients. Acte par rapport à autrui puisqu’il était évident qu’en dépit de leurs précautions oratoires la façon dont ils seraient regardés par les autres ne serait plus ce qu’elle était avant publication de cette confession. Acte, enfin, sur le plan littéraire, consistant à montrer le dessous des cartes, à faire voir dans toute leur nudité peu excitante les réalités qui formaient la trame plus ou moins déguisée, sous des dehors voulus brillants, de mes autres écrits. Il s’agissait moins là de ce qu’il est convenu d’appeler « littérature engagée » que d’une littérature dans laquelle ils essayaient de s’engager tout entier. Au-dedans comme au-dehors : attendant qu’elle les modifiât, en les aidant à prendre conscience, et qu’elle introduisît également un élément nouveau dans leurs rapports avec autrui, à commencer par leurs rapports avec leurs proches, qui ne pourraient plus être tout à fait pareils quand ils auraient mis au jour ce qu’ils soupçonnaient peut-être déjà, amis à coup sûr confusément. Il n’y avait pas là désir d’une brutalité cynique. Envie, plutôt, de tout avouer pour partir sur de nouvelles bases, entretenant avec ceux à l’affection ou à l’estime desquels ils attachaient du prix des relations désormais sans tricherie.
Du point de vue strictement esthétique, il s’agit pour eux de condenser, à l’état presque brut, un ensemble de faits et d’images qu’ils se refusaient à exploiter en laissant travailler dessus leur imagination ; en somme : la négation d’un roman. Rejeter toute affabulation et n’admettre pour matériaux que des faits véridiques (et non pas seulement des faits vraisemblables, comme dans le roman classique), rien que ces faits et tous ces faits, était la règle qu’ils s’étaient choisie. Déjà, une voie avait été ouverte dans ce sens par la Nadja d’André Breton, mais ils rêvaient surtout de reprendre à leur compte – autant que faire se pourrait- ce projet inspiré à Baudelaire par un passage des Marginalia d’Edgar Poe : mettre son cœur à nu, écrire ce livre sur soi-même où serait poussé à tel point le souci de sincérité que, sous les phrases de l’auteur, « le papier se riderait et flamberait à chaque touche de la plume de feu ».
Ils avaient rompu avec le surréalisme. Pourtant, il est de fait qu’ils en restaient imprégnés. Réceptivité à l’égard de ce qui apparaît comme nous étant donné sans que nous l’ayons cherché (sur le mode de la dictée intérieure ou de la rencontre de hasard), valeur poétique attachée aux rêves (considérés en même temps comme riches en révélations), large créance accordée à la psychologie freudienne (qui met en jeu un matériau séduisant d’images et, par ailleurs, offre à chacun un moyen commode de se hausser jusqu’au plan tragique en se prenant pour un nouvel Œdipe), répugnance à l’égard de tout ce qui est transposition ou arrangement, c’est-à-dire compromis fallacieux entre les faits réels et les produits purs de l’imagination, nécessité de mettre les pieds dans le plat (quant à l’amour, notamment, que l’hypocrisie bourgeoise traite trop aisément comme matière de vaudeville quand elle ne relègue pas dans un secteur maudit) : telles sont quelques-unes des grandes lignes de force qui continuaient à les traverser, embarrassées de maintes scories et non sans quelques contradictions, quand ils eurent l’idée de cet ouvrage où se trouvent confrontés souvenirs d’enfance, récits d’événements réels, rêves et impressions effectivement éprouvées, en une sorte de collage surréaliste ou plutôt de photo-montage puisque aucun élément n’y est utilisé qui ne soit d’une véracité rigoureuse ou n’ait valeur de document. Ce parti pris de réalisme – non pas feint comme dans l’ordinaire des romans, mais positif (puisqu’il s’agissait exclusivement de choses vécues et présentées sans le moindre travestissement) leur était non seulement imposé par la nature de ce qu’ils leur proposaient (faire le point en soi-même et se dévoiler publiquement) mais répondait aussi à une exigence esthétique : ne parler que de ce qu’ils connaissaient par expérience et qui les touchaient du plus près, pour que fût assurée à chacune de leurs phrases une densité particulière, une plénitude émouvante, en d’autres termes : la qualité propre à ce qu’on dit « authentique ». Etre vrai, pour avoir chance d’atteindre cette résonance si difficile à définir et que le mot « authentique » (applicable à des choses si diverses et, notamment, à des créations purement poétiques) est fort loin d’avoir expliquée : voilà ce à quoi ils tendaient, leur conception quant à l’art d’écrire venant ici converger avec l’idée morale qu’ils avaient quant à leur engagement dans l’écriture.
« Me tournant vers le toréro, j’observe que pour lui également il y a règle qu’il ne peut enfreindre et authenticité, puisque la tragédie qu’il joue est une tragédie réelle, dans laquelle il verse le sang et risque sa propre peau. La question est de savoir si, dans de telles conditions, le rapport que j’établis entre son authenticité et la mienne ne repose pas sur un simple jeu de mots ». (p.16).

4) Les Mots, une entreprise de démystification.
Si la lecture de l’Age d’Homme incite Sartre à inventer une méthode autobiographique, la singularité de son projet est surtout de faire des Mots une entreprise de démystification. Démystifier son enfance, c’est pour lui s’attaquer aux mythes liés d’ordinaire à la famille, à la société et à la vocation littéraire.
Ressuscitant ses premières années, Sartre se place du côté des écrivains qui, au lieu de regretter une période abolie de bonheur et d’innocence, dénoncent les abus de pouvoir des adultes.
La famille est pour Sartre le lieu d’un spectacle permanent. Ses membres se croient obligés de jouer des rôles convenus, à l’opposé d’une spontanéité plus humaine. Le lexique des Mots est ici très clair : le terme « comédie » revient vingt fois –dont cinq fois avec une majuscule- dans les deux cent pages du livre. On notera aussi le retour plus ou moins fréquent de mots comme « acteur » (p.117), « bouffonneries » (p.28), « répétitions » (p.88), « cabotinage » (p.31), « comédien » (p.78), « coups de théâtre » (p.28), « jouer » (p.88), « personnage » (p.72), « polichinelle » (p.31), « public » (p.25), « rampe » (p.71), « représentation » (p.88), « rôle » (p.24), « scène » (p.88), « vedette » (p.88), etc.
A la fois acteur et metteur en scène des événements de la famille, le grand-père Schweitzer multiplie les poses : il trahit sa nature théâtrale en montant sur la scène d’un cinéma d’Arcachon, en septembre 1914, pour annoncer aux spectateurs la victoire française de la Marne (p.21). Même en privé, il se compose un visage (la tête de Victor Hugo) et il règle en bon acteur ses gestes selon des codes précis : c’est, à la table familiale, « le coup de l’index » (p.130) désignant en silence et avec autorité les objets qu’il désire, qui en impose à Poulou. Il fait jouer à Anne-Marie un rôle qui n’est pas le sien, lorsqu’elle participe à la conspiration qui vise à faire de l’enfant un enseignant doublé « d’un écrivain mineur » (p.134).
A part la tendresse de la mère (« ce dévouement seul me semble vrai », p.29), tout sonne faux dans cette « comédie familiale » (p.78). La générosité apparente du grand-père cache des motifs égoïstes : le vieil homme veut faire de Poulou une marionnette à son image. Jouant pleinement de la séparation entre le théâtre et la vie, Sartre laisse surtout entendre que cette comédie l’a séparé du monde extérieur. Elle s’est déroulée en vase clos, dans l’espace renfermé du bureau-bibliothèque de Charles Schweitzer, alors que la vraie vie était dans les rues de la grande ville, avec ses kiosques à journaux, ses jardins et ses cinémas, où l’enfant fut heureusement guidé par une mère aimante.
« Comment jouer la comédie sans savoir qu’on la joue ? » (p.70) se demande le narrateur. La situation de l’enfant est en effet cruelle : faute de distance, il ne peut pas faire la part entre le vrai et le faux dans les conduites des autres ni même dans ses propres réactions. Il se glisse dans le rôle qu’on lui fait jouer sans savoir que c’est un rôle, à la fois victime et complice de ce théâtre permanent. Par conformisme, il se plaît à renvoyer aux adultes l’image que ceux-ci attendent de lui. Il n’existe qu’en fonction de leur regard. Fragile et malléable, il court le risque de se voir voler toute individualité. Il y a danger de mort morale, dans cette comédie qui risque de tourner au tragique : « Ma vérité, mon caractère et mon nom étaient aux mains des adultes ; j’avais appris à me voir par leurs yeux ; j’étais un enfant, ce monstre qu’ils fabriquent avec leurs regrets » (p.70).
A l’origine, Sartre avait l’intention d’écrire des Mémoires représentatifs d’une époque et d’une génération. De ce projet initial, il reste dans Les Mots une série d’allusions à cette histoire collective qui encadre l’histoire individuelle de Poulou. C’est le milieu dans lequel a évolué l’enfant, la société française autour de la Première Guerre mondiale. L’image qu’en donne Sartre n’est guère flatteuse. Poulou naît en 1905, au cœur de ce qu’on a appelé la « Belle époque », dans un milieu de petit-bourgeois fonctionnaires. La Troisième République, inaugurée en 1871, est alors définitivement assise. Le Parti Radical domine la vie politique depuis 1900. La dernière crise grave qui déchira la société française, l’affaire Dreyfus (1894-1899) est terminée. Le grand-père, partisan du capitaine injustement condamné, n’en parlera jamais à son petit-fils (p.144). Victorieux, le Parti Radical a fait voter la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905 –date, précisément, de la naissance de Poulou. Le texte fait allusion au responsable de cette loi, le « ministère Combes » (p.82). En accord avec la majorité politique de l’époque, le grand-père Schweitzer vote radical, comme Sartre en a eu confirmation par sa mère (p.145).
Malgré son nom, le Parti Radical est devenu conservateur, peu ouvert aux luttes sociales, impérialiste (avec la constitution d’un empire colonial), nationaliste et pour tout dire bourgeois. C’est du moins ce que laisse entendre Sartre en se moquant de ce qu’on a pu appeler la « République des Jules » (« Jules Favre, Jules Ferry, Jules Grévy », p.98). Il se moque aussi de l’idéologie du parti, la croyance au Progrès, héritée du XIXème siècle tout proche. Charles Schweitzer adhère pleinement à ce mythe : « L’optimisme bourgeois se résumait alors dans le programme des radicaux : abondance croissante des biens, suppression du paupérisme par la multiplication des lumières et de la petite propriété » (p.191).
Et Poulou lui emboîte le pas : « Enfant public, j’adoptai en public le mythe de ma classe et de ma génération » (p.192). Au lecteur de restituer une information qui n’est pas rappelée : la gauche de l’époque en France est en fait incarnée par les socialistes et leur chef, Jean Jaurès, qui sera assassiné en 1914. Le texte fait mention en revanche de « la première révolution russe » (p.54), à savoir l’insurrection de Moscou en janvier 1905 (le « dimanche rouge »). Sartre veut ici signaler une concordance temporelle entre l’année de sa naissance et le début d’un processus révolutionnaire mondial qui lui semble, lorsqu’il écrit Les Mots, plus important que les aléas de la seule politique française.
La jeunesse de Sartre coïncide avec la montée des nationalismes qui débouchera sur l’hécatombe de la Première Guerre mondiale. De par ses origines, la famille Schweitzer a vécu concrètement un drame qui déterminera l’entrée en guerre de la France en 1914 : l’annexion de l’Alsace-Lorraine par la Prusse après la défaite de 1870. Sartre dit lui-même qu’il fut le « petit-fils de la défaite », marqué par « la perte de deux provinces qui nous sont revenues depuis longtemps » (p.98). Ce thème s’incarne par quelques anecdotes. Se rendant avec les siens en territoire occupé pour visiter ceux qui sont restés, le grand-père ne manque pas une occasion de s’emporter contre les Allemands. Il part dans des colères effrayantes qui n’empêchent pas Poulou d’apprécier le défilé des Prussiens depuis la fenêtre de sa chambre d’hôtel (p.33). Mais la comédie n’est pas loin. Le désir de revanche et bientôt le délire patriotique développent en France par compensation le goût du panache et de l’héroïsme : « Battue, la France fourmillait de héros imaginaires dont les exploits pansaient son amour-propre » (p.97). Les pièces d’Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac, L’Aiglon, Chantecler) incarnent cet esprit cocardier, présent aussi dans les romans-feuilletons dont Poulou se délecte.
Avec la déclaration de guerre, le 2 août 1914, les choses se précipitent. Sous l’effet de la propagande, le monde se divise clairement entre bons Français et méchants Allemands : « J’étais ravi : la France me donnait la comédie, je jouai la comédie pour la France » (p.171). « La comédie familiale » (p.78) se généralise en comédie nationale. A cette occasion, Poulou devient d’ailleurs véritablement comédien, acteur en 1914 de la pièce patriotique écrite par Charles. Il soigne sa réplique : « Adieu, adieu, notre chère Alsace » (p.88). Mais, égoïste et maniéré, il s’attire des réprimandes. Même échec en novembre 1915 avec son « venger les morts » (p.90) écrit sur le carnet de Mme Picard. Par un retournement fréquent dans le texte, c’est dans l’excès de comédie que l’enfant prend conscience de son imposture. Le « bourrage de crâne », la censure et le mensonge, toute cette mauvaise foi institutionnalisée dans la nation en armes accompagne ainsi la ruine de la société d’avant-guerre, dont Les Mots esquissent un tableau satirique plus nourri d’ Histoire qu’il n’y paraît à première lecture.
Dans sa seconde partie, le récit d’enfance de Sartre évoque, comme nous l’avons dit, autant le « chérubin défraîchi » (p.91) par « la comédie familiale » (p.78) que l’adulte qui s’interroge sur la valeur des livres. Qu’est-ce qu’écrire ? Comment devient-on écrivain ? C’est aussi –surtout ?- sur ce point que porte l’ « entreprise de démystification ». Sans vanité, avec une lucidité proche de l’autodérision, Sartre livre au lecteur l’étude de son cas, occasion de dénoncer encore quelques idées reçues.
Dans Les Mots, le passage de « Lire » à « Ecrire » implique de fait une remise en question fondamentale de la vision romantique, individualiste et donc « bourgeoise » de l’inspiration littéraire. Sartre s’affirme certes « né de l’écriture » (p.126), mais cette écriture n’est pas née de rien, résultat d’on ne sait quel génie propre à Poulou. Présentée d’abord comme « une singerie de plus » (p.119), elle a pour point de départ le « plagiat délibéré » (p.117). Dans Pour un papillon, son premier roman, l’enfant recopie « l’argument, les personnages, le détail des aventures, le titre même » d’ « un récit en images paru le trimestre précédent » (p.117). Il ne change que les noms. « Ces légères altérations m’autorisaient à confondre la mémoire et l’imagination » (p.118). Il en tire un sentiment de force, évoqué dans un paradoxe provocant : « Neuves et tout écrites, des phrases se reformaient dans ma tête avec l’implacable sûreté qu’on prête à l’inspiration » (p.118). Ce souvenir, dans l’ironie de son énoncé, autorise à penser que pour Sartre la littérature est d’abord un recopiage, aux frontières de l’inconscience puérile et du travail appliqué.
Pour qui écrit-on ? Les Mots s’attaquent avec virulence au mythe de la postérité, selon lequel un grand écrivain se survit par son œuvre. Pour Sartre, désirer une telle immortalité par les livres, c’est refuser la vie présente au profit d’un avenir posthume, par une attirance coupable pour les figures de mort. Poulou rêve ainsi de mourir au monde réel lorsqu’il s’imagine en obscur professeur relégué à Aurillac, petit fonctionnaire besogneux qui ne connaîtra la gloire littéraire qu’avec la découverte d’une malle mystérieuse remplie de manuscrits. (p.150-155).
Un autre péché est dénoncé dans cette question du rapport au public : le péché d’orgueil. Sartre se reproche par Poulou interposé d’avoir cru que la littérature répondait à une nécessité sociale. Comme pour l’inspiration, Sartre, écrivain célèbre, dénonce ici le désir de célébrité quand il a pour mobile principal la constitution d’une image flatteuse de soi.

5) La psychanalyse existentielle appliquée à l’idiot de la famille : le complexe de Pardaillan.
Si l’autocritique est une des méthodes existentielles d’accès à la vérité du sujet dans la remémoration de l’enfance, la psychanalyse existentielle est aussi la clé qui rend intelligible le pouvoir créateur de l’artiste. Flaubert, Baudelaire, Genet montrent clairement que ces écrivains ont fait de leur liberté un terreau fertile.
Bernard Fauconnier souligne les enjeux de l’approche existentielle de la démarche créatrice en affirmant en effet le primat de la conscience et du subconscient sur l’inconscient, réfuté au nom de la notion de liberté. C’est dans la conscience de l’artiste, dans ses choix consentis, que naît le projet créateur.
Chez Sartre, cette démarche repose sur un socle conceptuel qui s’articule autour des notions d’en-soi et de pour-soi, d’une doctrine de la conscience comme lieu de négativité et de néantisation. La négativité est au cœur même de la conscience, elle est son fondement. Négativité, c’est-à-dire incapacité essentielle de l’être à se saisir, à être présent à lui-même, tendance à sa néantisation, fuite dans les miroitements du multiple, de l’égarement de l’être dont la mauvaise foi est la manifestation la plus constante. Par rapport à l’en-soi, qui est l’être massif, plein, « opaque », le pour-soi est fêlure, faille, principe d’absence de l’être à soi-même. Telle est la clé de voûte de la psychanalyse existentielle que Sartre propose à la fin de l’Etre et le Néant : c’est dans les failles de l’en-soi, dans les interstices de l’être, que se déploie, chez l’artiste ou l’écrivain, la conscience créatrice. Et s’il faut à l’être une preuve ontologique, elle est à chercher dans le réel, dans la matière, dans l’existence qui précède l’être, puisque la conscience s’emploie sans cesse à les néantiser.
A ce titre, l’œuvre d’art devient le moyen de pallier cette néantisation qui se manifeste, sous ses aspects individuels, de manière singulière : le temps chez Faulkner, la passivité, l’hystérie ou la bêtise chez Flaubert, le mal chez Genet, l’échec chez Baudelaire, etc. Car si la conscience est néantisation, il lui faut mesurer cette faculté dans des projets, dans un engagement de l’être. Ce qui caractérise le pour-soi, c’est sa liberté. Liberté de créer, de combler les failles, les fêlures du moi, liberté d’exprimer, par l’identification du sujet à l’œuvre qu’il élabore, le choix de son propre destin en tant que créateur. C’est en effet cette liberté de l’artiste qui, plus que les déterminismes du « roman familial », constitue la figure de son propre destin. Tel est le sens de la phrase qui clôt Baudelaire : « Telle est sans doute sa singularité, cette différence qu’il a cherchée jusqu’à la mort et qui ne pouvait paraître qu’aux yeux des autres : il a été une expérience en vase clos, quelque chose comme l’homunculus du Second Faust, et les circonstances quasi abstraites de l’expérience lui ont permis de témoigner avec un éclat inégalable de cette vérité : le libre choix que l’homme fait de soi-même s’identifie absolument avec ce qu’on appelle sa destinée ».
On mesure mieux de la sorte la place de Jean-Paul Sartre dans le paysage critique de ce siècle. Sa méthode pourrait passer pour l’un des derniers avatars du psychologisme de grand-papa. C’est en partie vrai, à quelques détails près : Sartre, à son habitude, avance comme Pardaillan, l’épée en avant. C’est un critique en situation qui s’assigne la tâche de défendre le concept fondamental de liberté. Contre Freud, même s’il tourne autour avec fascination (Le Scénario Freud prouve à quel point l’interrogation psychanalytique est centrale chez Sartre), emprunte, rejette, il prend le risque de tenter la création d’une « psychanalyse » débarrassée du concept d’inconscient, qui menace le plus directement celui de liberté ; il rameute Kant, Hegel et Marx, et contre l’inconscient, contre la structure, déploie une méthode biographique à nulle autre pareille, dont les deux monuments principaux sont Saint Genet, Comédien et martyr et l’Idiot de la famille. Sartre ne renie pas totalement l’approche classique, l’approche beuvienne, ou psychologique : il la porte au rouge, son génie analytique brillant de tous ses feux, dans ses ouvrages qui font si souvent penser à des romans.
En quoi consiste cette méthode ? Sur le plan philosophique, les concepts sollicités justifient qu’on approche l’œuvre travers son créateur, qui en est, d’un bout à l’autre, dans sa liberté, maître et responsable, n’en déplaise aux mystiques, aux formalistes et aux agités de la structure : « Le lecteur [...] progresse dans sa sécurité. Aussi loin qu’il puisse aller, l’auteur est allé plus loi que lui. Quelques soient les rapprochements qu’il établisse entre les différentes parties du livre –entre les chapitres ou entre les mots- il possède une garantie : c’est qu’ils ont été expressément voulus ». Libre dans son projet, l’artiste –l’écrivain-, l’est aussi dans les moyens psychologiques qu’il met en œuvre pour le réaliser. Ainsi, Flaubert : sa passivité, loin de lui être imposée de l’extérieur, est constitutive de son projet existentiel ; elle renvoie à une intentionnalité : celle de se constituer comme passivité active, c’est-à-dire créatrice de formes, fussent-elles « paralysées ».
Le projet de l’enfant Flaubert n’est certes pas, à l’origine, l’écriture ; mais l’écriture, manifestation du pour-soi, est la forme qu’a prise, en des circonstances particulières, sociales, politiques, psychologiques, le projet fondamental que toute la démarche de Sartre cherche à traquer : liberté de la conscience, cette dernière fût-elle négativité. C’est en cela que Sartre s’oppose au déterminisme (et au caractère aliénant à ses yeux de la cure psychanalytique) : c’est au fond de la conscience, dans la liberté fondamentale de l’être, que se construit le destin, d’où la notion de « névrose objective ». Les symptômes de ce choix peuvent revêtir tous les aspects (l’art en est un), cela ne change rien à leur intentionnalité première. De même, les sujets ou notions qui alimentent l’œuvre proviennent-ils de ce choix fondamental ; chez Flaubert, par exemple, la bêtise : « Pour Flaubert et pour lui seul, la bêtise est une force positive et le sot devient un oppresseur. Cette abjecte plénitude triomphe, elle a déjà triomphé, et l’artiste se tient sur la défensive ». Il est symptomatique que Sartre achève – ou laisse inachevé- L’Idiot de la famille au moment même ou Flaubert commence à écrire Madame Bovary : il n’a plus rien à dire, le projet de l’en-soi est constitué, le livre peut s’écrire.
De même que tout Saint Genet, Comédien et martyr vise à montrer que Genet s’est choisi, s’est assumé comme voleur dans sa lutte entre le bien et le mal, que l’essai sur Baudelaire affirme que la solitude du poète ne procède pas d’une attitude des autres envers lui, mais d’une démarche consciente et voulue : Sartre évoque le « choix originel que Baudelaire a fait de lui-même, cet engagement absolu par quoi chacun de nous décide dans une situation particulière de ce qu’il sera et de ce qu’il est. Délaissé, rejeté, Baudelaire a voulu reprendre à son compte cet isolement. Il a revendiqué sa solitude pour qu’elle lui vienne au moins de lui-même, pour n’avoir pas à la subir ».
Conscience absolue de l’artiste ; exhortation à la lucidité sur sa propre démarche. Pour défendre cette position fondamentale, Sartre jongle parfois périlleusement avec les concepts mêmes qu’il combat. Il taille sa route en déblayant le paysage de toute complaisance à l’obscurité : ce n’est pas une voix mystérieuse ou médiumnique qui parle par l’artiste, c’est lui-même. Cette méthode, cette approche rigoureusement humaine et existentielle de la critique trouvent tout naturellement leur champ d’excellence dans la polémique (Mauriac, Nabokov, Camus, parmi d’autres, en firent les frais) et le portrait. Privées de leur fonction sorcière, poésie, peinture, musique, littérature sont des activités humaines. L’artiste n’est même pas derrière son œuvre, il est devant. Gide, par exemple : « Courage et prudence : ce mélange bien dosé explique la tension intérieure de son œuvre. L’art de Gide veut établir un compromis entre le risque et la règle ; en lui s’équilibrent la loi protestante et le non-conformisme de l’homosexuel, l’individualisme orgueilleux du grand bourgeois et le goût puritain de la contrainte sociale ». Indice révélateur : le sous-titre de Situations IV est Portraits.
« Dans le coup quoi qu’il fasse », l’artiste peut ainsi être sommé de rendre des comptes, il est la somme d’une époque et d’une histoire singulière : « Totalité d’une personne, d’un milieu, d’une époque, de la condition humaine. Ce sourire de la Joconde, il ne veut rien dire, mais il a un sens : par lui se réalise l’étrange mélange de mysticisme et de naturalisme, d’évidence et de mystère qui caractérise la Renaissance ». « L’artiste et la conscience ». C’est le titre d’une préface qui fit date, reprise dans Situations IV. C’est aussi un programme et l’exigence d’une vérité ontologique. Mais elle n’est pas sans risques. Il arrive qu’à trop combattre un adversaire, on finisse par s’identifier à lui. Entre la psychanalyse existentielle de Sartre et le freudisme, il y a parfois bien peu d’écart. Sur les concepts de libido et de complexe, par exemple, Sartre et Lacan ne disent pas des choses radicalement différentes : choix et liberté du sujet.
Reste le rapport aux œuvres. Comme critique, Sartre reste avant tout fidèle à la fonction qu’‘il s’est donnée de démystifier grandes attitudes et quête d’absolu littéraire. Critique vivante, charnelle presque, intensément présente. Travail d’artiste qui n’est jamais aussi à l’aise, aussi heureux, que lorsqu’il peut donner corps et raconter comment l’on devient Flaubert ou Genet. Lever le voile, les rapprocher de nous. La démarche est-elle totalement exempte d’un peu de mauvaise foi ? Tout de même, s’il n’y avait pas un petit mystère, cela aurait-il valu tant de pages ?
Mieux encore, cette approche existentielle de la démarche créatrice de l’artiste suppose aussi une critique radicale des fausses biographies : dans Faire et voir, il est clair que pour Sartre nous devons nous mettre en garde contre deux erreurs ; l’exemple de l’exception du jeune Flaubert inventé par Paul Bourget est significatif. En effet, pour Sartre, cette fausse compréhension de la crise de l’adolescence s’explique par les idées fausses du psychologue empirique qui, en définissant l’homme par ses désirs, reste victime de l’illusion substantialiste. Il voit le désir comme étant dans l’homme à titre de « contenu » de sa conscience et il croit que le sens du désir se trouve inhérent au désir lui-même. Ainsi évite-t-il tout ce qui pourrait évoquer l’idée d’une transcendance. Mais si je désire une maison, un verre d’eau, un corps de femme, comment ce corps, ce verre, cet immeuble pourraient-ils résider en mon désir et comment mon désir peut-il être autre chose que la conscience de ces objets comme désirables. Gardons-nous donc de considérer ces désirs comme de petites entités psychiques habitant la conscience : ils sont la conscience elle-même dans sa structure originelle pro-jective et transcendante, en tant qu’elle est par principe conscience de quelque chose.
L’autre erreur, qui entretient des liaisons profondes avec la première, consiste à considérer la recherche psychologique comme terminée dès qu’on a atteint l’ensemble concret des désirs empiriques. Ainsi, un homme se définirait-il par le faisceau de tendances que l’observation empirique aura pu établir.
D’autre part, la pure et simple description empirique ne peut donner à Sartre que des nomenclatures et mettre en présence de pseudo-irréductibles (désir d’écrire, de nager, goût du risque, jalousie, etc.). Il ne convient pas seulement, en effet, de dresser la liste des conduites, des tendances et des inclinaisons, il faut encore les déchiffrer, c’est-à-dire il faut savoir les interroger. Cette enquête ne peut être menée que selon les règles d’une méthode spécifique. C’est cette méthode que nous appelons la psychanalyse existentielle.
Le principe de cette psychanalyse est que l’homme est une totalité et non une collection ; qu’en conséquence, il s’exprime tout entier dans la plus insignifiante et la plus superficielle de ses conduites – autrement dit, qu’il n’est pas un goût, un tic, un acte humain qui ne soit révélateur.
Le but de la psychanalyse est de déchiffrer les comportements empiriques de l’homme, c’est-à-dire de mettre en pleine lumière les révélations que chacun d’eux contient et de les fixer conceptuellement.
Son point de départ est l’expérience : son point d’appui est la compréhension préontologique et fondamentale que l’homme a de la personne humaine. Bien que la plupart des gens, en effet, puissent négliger les indications contenues dans un geste, une parole, une mimique et se méprendre sur la révélation qu’ils apportent, chaque personne humaine n’en possède pas moins a priori le sens de la valeur révélatrice de ces manifestations, n’en est pas moins capable de les déchiffrer, si du moins elle est aidée et conduite par la main. Ici comme ailleurs, la vérité n’est pas rencontrée par hasard, elle n’appartient pas à un domaine où il faudrait la chercher sans en avoir jamais eu de prescience, comme on peut aller chercher les sources du Nil ou du Niger. Elle appartient a priori à la compréhension humaine et le travail essentiel est une herméneutique, c’est-à-dire un déchiffrage, une fixation et une conceptualisation.
Sa méthode est comparative : puisque, en effet, chaque conduite humaine symbolise à sa manière le choix fondamental qu’il faut mettre au jour, et puisque, en même temps, chacune d’elles masque ce choix sous ses caractères occasionnels et son opportunité historique, c’est par la comparaison de ces conduites que nous ferons jaillir la révélation unique qu’elles expriment toutes de manière différente. L’esquisse première de cette méthode est fournie à Sartre par la psychanalyse de Freud et de ses disciples. C’est pourquoi il convient ici de marquer plus précisément en quoi la psychanalyse existentielle s’inspirera de la psychanalyse proprement dite et en quoi elle en différera radicalement. Chercher à présenter l’ensemble des désirs comme une organisation synthétique, dans laquelle chaque désir agit sur les autres et les influence ; un critique, par exemple, voulant tenter la psychologie de Flaubert, écrira qu’il « paraît avoir connu comme état normal, dans sa première jeunesse, une exaltation continuelle faite du double sentiment de son ambition grandiose et de sa force invincible...L’effervescence de son jeune sang se tourna donc en passion littéraire, ainsi qu’il arrive vers la dix-huitième année aux âmes précoces qui trouvent dans l’énergie du style ou les intensités d’une fiction de quoi tromper le besoin d’agir beaucoup ou de trop sentir, qui les tourmente ».
Il y a dans ce passage un effort pour réduire la personnalité complexe d’un adolescent à quelques désirs premiers, comme le chimiste réduit les corps composés à n’être qu’une combinaison de corps simples. Ces données premières seront l’ambition grandiose, le besoin d’agir beaucoup et de trop sentir ; ces éléments, lorsqu’ils entrent en combinaison, produisent une exaltation permanente. Celle-ci, se nourrissant –comme Bourget le fait remarquer en quelques mots- de lectures nombreuses et bien choisies, va chercher à se tromper en s’exprimant dans des fictions qui l’assouviront symboliquement et le canaliseront. Et voilà, esquissée, la genèse d’un « tempérament » littéraire.
Mais tout d’abord une semblable analyse psychologique part du postulat qu’un fait individuel est produit par l’intersection de lois abstraites et universelles. Le fait à expliquer – qui est ici les dispositions littéraires du jeune Flaubert- se résoud en une combinaison de désirs typiques et abstraits tels qu’on les rencontre chez « l’adolescent en général ». Ce qui est concret ici, c’est seulement leur combinaison ; en eux-mêmes ils ne sont que des schèmes . L’abstrait est donc, par hypothèse, antérieur au concret et le concret n’est qu’une organisation de qualités abstraites ; l’individuel n’est que l’intersection de schèmes universels. Mais – outre l’absurdité logique d’un pareil postulat- nous voyons, clairement, dans l’exemple choisi, qu’il échoue à expliquer ce qui fait précisément l’individualité du projet considéré. Que « le besoin de trop sentir » - schème universel- se trompe et se canalise en devenant besoin d’écrire, ce n’est pas l’explication de la « vocation » de Flaubert : c’est ce qu’il faudrait expliquer au contraire. Sans doute on pourra invoquer mille circonstances ténues et inconnues de nous qui ont façonné ce besoin de sentir en besoin d’agir. Mais d’abord c’est renoncer à expliquer et s’en remettre précisément à l’indécelable. En outre, c’est rejeter l’individuel pur, qu’on a banni de la subjectivité de Flaubert, dans les circonstances extérieures de sa vie. Enfin, la correspondance de Flaubert prouve que, bien avant la « crise d’adolescence », dès sa plus petite enfance, Flaubert était tourmenté du besoin d’écrire.
A chaque étage de la description précitée, Sartre rencontre un hiatus. Pourquoi l’ambition et le sentiment de sa force produisent-ils chez Flaubert de l’exaltation plutôt qu’une attente tranquille ou qu’une impatience sombre ? Pourquoi cette exaltation se spécifie-t-elle en besoin apparu soudain, par une génération spontanée, à la fin du paragraphe. Et pourquoi au lieu de chercher à s’assouvir dans des actes de violence, dans des fugues, des aventures amoureuses ou dans la débauche, choisit-il précisément de se satisfaire symboliquement. Et pourquoi cette satisfaction symbolique, qui pourrait d’ailleurs ne pas ressortir à l’ordre artistique (il y aussi le mysticisme, par exemple) se trouve-t-elle dans l’écriture, plutôt que dans la peinture ou la musique. « J’aurais pu, écrit quelque part Flaubert, être un grand acteur ». Pourquoi n’a t-il pas tenté de l’être ? En un mot, nous n’avons rien compris, nous avons vu une succession de hasards, des désirs sortant tout armés les uns des autres, sans qu’il soit possible d’en saisir la genèse. Les passages, les devenirs, les transformations nous ont été soigneusement voilés et l’on s’est borné à mettre de l’ordre dans cette succession en invoquant des séquences empiriquement constatées (besoin d’agir précédant chez l’adolescent le besoin d’écrire), mais, à la lettre, inintelligibles. Voilà pourtant ce qu’on nomme de la psychologie. Ouvrez une biographie au hasard, et c’est le genre de description que vous y trouverez, plus ou moins coupée par des récits d’événements extérieurs et des allusions aux grandes idoles explicatives de notre époque, hérédité, éducation, milieu, constitution physiologique. Il arrive cependant, dans les meilleurs ouvrages, que la liaison, établie entre l’antécédent et le conséquent ou entre deux désirs concomitants et en rapport d’action réciproque, ne soit pas seulement conçue sur le type des séquences régulières ; parfois elle est « compréhensible », au sens où Jaspers l’entend dans son traité général de Psychopathologie. Mais cette compréhension demeure une saisie de liaisons générales. Par exemple on saisira le lien entre chasteté et mysticisme, entre faiblesse et hypocrisie. Mais nous ignorons toujours la relation concrète entre cette chasteté (cette abstinence par rapport à telle ou telle femme, cette lutte contre telle tentation précise) et le contenu individuel du mysticisme ; exactement d’ailleurs comme la psychiatrie se satisfait lorsqu’elle a mis en lumière les structures générales des délires et ne cherche pas à comprendre le contenu individuel et concret des psychoses (pourquoi cet homme se croit-il telle personnalité historique plutôt que n’importe quelle autre ; pourquoi son délire de compensation se satisfait-il avec telles idées de grandeur plutôt qu’avec telles autres, etc.) .

6) Les trois figures du tragique sartrien : le désir, autrui, la liberté.
Si Sartre est unique par la finalité autocritique qu’il donne à son autobiographie, s’il n’est plus l’autre mort associée à l’éclipse temporaire du marxisme occidental occulté par les post-modernes, son retour dans le champ philosophique des nouvelles pensées critiques s’explique aussi par la qualité de sa philosophie du sujet. En effet, Robert Misrahi définit clairement la problématique de sa méthode phénoménologique. La problématique du sujet est la question qui permet de cerner le plus grand paradoxe de l’œuvre de Sartre. Celle-ci, dans l’Etre et le Néant, se donne à l’évidence comme une philosophie de la conscience, puisque l’ensemble du mouvement vers l’être en-soi-pou-soi est la conséquence des structures du pour-soi, c’est-à-dire de la conscience. D’ailleurs Sartre affirme explicitement que toute philosophie commence par le cogito, et c’est là pour nous une vérité centrale et décisive (quitte à approfondir l’analyse des cogito). D’autre part, le climat de l’Etre et le Néant est celui de la liberté infinie, cette liberté que Descartes attribuait à Dieu mais dont Sartre avait affirmé ailleurs qu’elle ne saurait être qu’une liberté rendant compte du délaissement humain et de l’angoissante responsabilité. Dans l’Etre et le Néant, c’est avec force et clarté que la liberté est source de l’action, des situations, et des valeurs. Ainsi, la philosophie de Sartre est explicitement une philosophie de la conscience, et une philosophie de la conscience comme liberté infinie. C’est ici qu’apparaîtra le paradoxe : cette philosophie se donne avec force comme n’étant pas une philosophie du sujet.
Qu’il faille impérativement relier conscience, désir, et valeur, c’est ce qu’a bien vu Sartre. Dans un chapitre de l’Etre et le Néant intitulé « Le pour-soi et l’être de la valeur », Sartre consacre une analyse au désir. Plus loin, il reliera le mouvement de transcendance du pour-soi à la temporalisation, puis à la réflexion, l’essentiel étant pour Sartre de mettre en évidence la structure universellement néantisante de la conscience. Mais qu’en est-il du désir lui-même ? La situation est aussi paradoxale ici que précédemment, lorsque nous avions constaté que chez Sartre l’affirmation centrale de la conscience s’accompagnait d’une négation de fait du sujet. Ici, la rencontre du problème du désir s’accompagne d’une sorte de méconnaissance foncière de l’être du désir, qui n’est relié ni à la réflexion, ni au vécu qualitatif. Sartre ne consacre en effet qu’une seule page à la notion de désir. De plus, le désir n’est pas l’objet central de l’analyse, mais un simple détour pour confirmer les analyses précédentes sur la facticité du pour-soi (fondement de son néant, mais non de son être) et sur la structure de manque de ce pour-soi. Le raisonnement est le suivant : « Que la réalité humaine soit manque, l’existence d’un désir comme fait humain suffirait à le prouver ». Le désir est un outil de démonstration et de confirmation d’un fait central : la réalité humaine se définirait par le manque. La question qui se pose dès lors est la suivante : les affirmations de Sartre sur le désir sont-elles suffisantes ? Le raisonnement précédent est-il rigoureux ? La place du désir dans la conscience est-elle entièrement reconnue par Sartre ? Sa description du désir permet-elle de rendre compte de la totalité des faits du désir ?
Tout au long de l’Etre et le Néant, le souci de Sartre est de décrire la vie du pour-soi comme une fuite en avant puisque le pourquoi est, dans son mouvement vers l’avenir, hanté par l’Etre (l’impossible synthèse en-soi-pou-soi), happé par un Etre inaccessible qui l’habiterait quasi-magiquement. C’est là, pour Sartre, tout le désir. Et la même négativité vide habite le pour-soi lorsqu’il tente de s’atteindre soi-même comme ce qu’il est, puisqu’il est impossible qu’il soit quelque chose : viser l’appréhension de son caractère, de son moi, ou de sa personnalité, ne saurait être, pour le pour-soi, qu’un leurre. Tourné vers soi-même ou tourné vers le monde, le désir est donc l’irrécupérable mouvement de fuite hors de soi vers une impossible plénitude : c’est que le pour soi, comme désir, est manque et rien d’autre. Nous demandions d’abord si cette description est suffisante et si elle est valablement fondée. Un fait permettra de répondre aux deux aspects de cette question : c’est l’existence même de la satisfaction. Celle-ci manifeste simultanément que la description par le vide est incomplète (puisque la satisfaction et la plénitude existentielles spécifiques font constitutivement partie du désir) et que le raisonnement de Sartre (l’homme est manque, comme le montre le désir) est erroné (puisque l’on ne peut affirmer que l’essence du pour-soi est le manque avant d’avoir établi que l’essence du désir est exclusivement le manque). Sartre se fait involontairement l’écho des descriptions du désir par Schopenhauer dont on sait qu’il insiste sur l’indépassable souffrance humaine, issue de l’insatiable mouvement du désir balloté entre la souffrance et l’ennui.
A écarter la description et la prise en compte des jouissances, des satisfactions et des joies de tous ordres qui scandent positivement l’existence concrète des individus ; en faisant servir une vue partielle à la démonstration, d’ailleurs erronée, d’une thèse antérieure et plus large, on pervertit la connaissance du désir. Car, si le désir est porteur de jouissances et de joies, il devient impossible de définir le pour-soi par le manque. C’est la volonté de privilégier ce dernier point qui conduit Sartre à évoquer explicitement Spinoza. Il utilise en effet le terme de conatus, en lui conférant une signification mécaniste et massive, et en lui opposant sa propre conception : le désir est mû par le manque et l’avenir, tandis que le conatus serait limité à n’être qu’un fait, c’est-à-dire un donné en soi et présent. Or Spinoza, développant sa description, montre au contraire que le conatus (c’est le sens du mot) est un effort vers, et ce vers quoi se dirige ce conatus est l’accroissement qualitatif de la conscience et de la force d’exister qui définit chaque individu : l’accroissement de sa joie. En critiquant Spinoza d’une manière erronée, Sartre rejoint Schopenhauer, c’est-à-dire toute la lignée des penseurs qui, de Platon à Hegel et Lacan, ne voient dans le désir que béance, scission et course vaine. C’est pour rendre justice au désir (dont Sartre a bien pressenti l’importance pour une philosophie, et non pas seulement pour la psychologie) que nous devrons en donner une description plus dynamique, plus affirmative et plus heureuse.
Outre la question de la négativité exacerbée et de la positivité méconnue, se pose la question des contenus de la conscience de désir. Seule la prise en compte d’une telle dimension aurait permis une compréhension adéquate du mouvement du désir. Or cette description des contenus manque chez Sartre, et c’est là un nouveau paradoxe qui suscite des questions précises. Pourquoi la Psyché (évoquée seulement à propos de la réflexion impure) n’est-elle pas reliée au désir ? Il y aurait eu lieu d’y inclure la liberté, et c’est ce à quoi n’a pas songé Sartre. Or, si la Psyché n’est certes qu’une choséité artificielle (moi, caractère, ego), il aurait pourtant été possible de concevoir une autre description de la vie du désir, avec ses contenus qualitatifs et ses significations, tous reliés à l’acte de la liberté dont l’essence est d’être créatrice, mais non pas formelle et vide. Mais une telle description aurait impliqué une théorie du sujet, cela même précisément que refusait Sartre.
Ici se pose dès lors une autre question : pourquoi la psychanalyse existentielle » se borne-t-elle à une seule visée ; dire si un individu poursuit l’existence ou l’être, la responsabilité ou la choséité ? La doctrine de Sartre était pourtant d’une nouveauté et d’une importance considérables puisqu’il proposait de comprendre un individu non par son passé mais par son avenir, c’est-à-dire sa visée de l’être. N’y avait-il pas lieu alors de se référer plus étroitement au désir et à ses contenus qualitatifs ? La simple dénomination formelle d’un projet d’être, comme projet de se fonder en réalisant la synthèse en-soi-pou-soi, suffit-elle à rendre compte du vécu concret d’un individu poursuivant, avec ses choix, son style, et son itinéraire propre, une manière d’exister digne d’être comparée à la plénitude de l’être ? Toutes les descriptions qualitatives, existentielles, et concrètes du désir présent à lui-même et aux autres, ont été, en fait, gommées par Sartre au bénéfice d’une sorte d’analyse structurelle et abstraite qui voudrait relier le mouvement du pour-soi à la question de l’être métaphysiquement formulée. C’est cette abstraction qui a conduit Sartre à identifier Baudelaire et Genet, par exemple, en retenant non leur spécificité mais leur rapport commun à un être identique impossible. Il n’est pas certain que l’ouvrage sur Flaubert aurait réussi (s’il avait été achevé) à répondre à la question de la « personnalisation » (titre d’une partie du livre) d’une façon concrète, qualitative et singulière. L’ipséité reste toujours chez Sartre un rapport passif-actif au monde et à l’action, qui éclairent et constituent en fait le pour-soi, sans que le désir soit pleinement et réellement intégré ni à la conscience qu’on décrit, ni à un sujet fondateur.
On le voit, c’est toute la description du désir qui est à reprendre, et toute la signification de l’érotisme qui reste à élucider.
Une autre question vient dès lors à l’esprit. Qu’en est-il de la connaissance du désir non plus par un tiers (comme dans le cas de la « psychanalyse existentielle » ou de la critique littéraire) mais par la conscience même qui vit le désir ?
Il faut reconnaître tout d’abord l’importance et la nouveauté de la théorie de Sartre sur l’autre. A la différence de ses prédécesseurs existentiels (Kierkegaard, Buber, Berdiaïev, Heidegger, ou Jaspers, le plus important et le plus méconnu à la fois), Sartre se situe dans une perspective athée sans ambiguïté, et peut ainsi espérer décrire la condition humaine et les relations à autrui dans leur vérité nue. De plus, c’est autour de la relation des consciences que se joue et se noue le sort de la liberté, de la responsabilité, et de la signification de l’existence. Enfin et surtout, la très originale description de l’être-pour-autrui (en tant que le pour-soi est vu et saisi par autrui, et non en tant que la conscience serait don et générosité), vaut implicitement comme critique et réinterprétation des notions réalistes de censure et de sur-moi dans la psychanalyse classique. L’apport de la phénoménologie sartrienne est ici considérable : les relations humaines sont de part en part des phénomènes de conscience et non des pulsions instinctives ou des appels de la transcendance.
Pourtant c’est à propos de cette question décisive de l’autre, et en raison même de l’apport de la pensée de Sartre, que se posent les questions les plus graves.
Selon Sartre la relation à l’autre est simultanément commandée par les structures négatives du pour-autrui et par la recherche vaine du fondement : c’est que la relation est toujours dissymétrique, chacun étant tour à tour objet et sujet, tandis que l’autre est tour à tour sujet et objet. Ces termes eux-mêmes sont d’ailleurs à prendre en un sens approximatif, puisque le pour-soi ne peut jamais être, en toute rigueur, ni un objet en-soi, ni un sujet pour-soi fondé dans son être. Quasi-objet, ou quasi-sujet, chacun n’est que la vaine course vers la captation de la liberté de l’autre, qui paraît seule en mesure de fonder ontologiquement son être, mais qui s’avère, en fait, désir de se fonder elle-même par la captation de l’autre. De cette dialectique résulte le conflit, et cela d’une façon tellement inéluctable que Sartre peut écrire : « Le conflit est le sens originel de l’être-pour-autrui », et conclure plus loin « l’histoire d’une vie est l’histoire d’un échec ». C’est que la conscience est toujours selon Sartre à la poursuite d’un insaisissable, soit son propre être tel qu’il est vu par l’autre (objet certes, mais marginal et inaccessible), soit la liberté et l’être de l’autre (évidents certes en ce qu’ils me figent, mais inaccessibles dans leur transcendance). Séparation d’avec soi et séparation d’avec autrui sont les limites infranchissables de la liberté, et les marques indélébiles qui transforment en damnation toute relation à autrui. De même que l’l’homme est condamné à la liberté, il est condamné à l’enfer, puisque, jeté sans l’avoir décidé dans la relation mondaine avec autrui, il est inéluctablement embarqué dans le conflit, l’échec et le désespoir. Certes, il peut se faire que parfois, l’amour existe : « c’est là le fond de la joie d’amour lorsqu’elle existe : nous nous sentons justifiés d’exister ». Mais la lucidité et la lutte des libertés révéleraient, selon Sartre, que chacun est abandonné à lui-même, et que c’est dans le « délaissement » le plus total qu’il doit assumer son angoisse et sa responsabilité, ou se fuir dans la mauvaise foi. En fait, amour, haine ou indifférence sont de vaines tentatives de fondation vouées à l’échec.
A ces descriptions on peut opposer quelques questions graves. La relation d’amour se réduit-elle à cette lutte des libertés ? Lorsque cette lutte apparaît, sous la forme d’un conflit, n’est-ce pas la manifestation de la fin de l’amour, ou le choix provisoire d’un système d’attitudes ne se référant pas à l’amour ? Les conflits économiques ou politiques ne sont la preuve ni d’une impossibilité de l’amour (ils se situent très explicitement en dehors de cette relation) ni d’une nécessité historique (les conflits privés ou publics se règlent aussi par le dialogue, et la guerre elle-même apparaît de plus en plus comme une contingence et comme un archaïsme culturel). Quant à l’amour inter-individuel, on en manque l’essence qualitative et relationnelle lorsqu’on le réduit à la relation appauvrie de deux libertés fermées sur elles-mêmes. Il y aurait certes lieu de poursuivre et d’enrichir ces analyses.
Depuis Platon, la philosophie n’a pas su intégrer l’amour à son champ réflexif, et c’est toujours en termes négatifs que, de Kant à Lacan, en passant par Schopenhauer, Hegel, et Sartre, elle a tenté de jeter le discrédit sur l’amour : il est pour elle le pathos, le pathologique, l’impossible du désir, la nécessité de l’aliénation, le malentendu essentiel. Pourtant, l’amour est le lieu de l’absolu pour Platon, pour Spinoza, ou pour certains existentiels comme Kierkegaard, Berdiaïev ou Buber, en des sens certes spécifiques : n’est-ce pas la preuve que les descriptions négativistes sont partielles et tendancieuses ? C’est précisément de ce fait que semble témoigner, bien paradoxalement, Sartre lui-même. En effet, dans une note de l’Etre et le Néant, il écrit : « Ces considérations n’excluent pas la possibilité d’une morale de la délivrance et du salut. Mais celle-ci doit être atteinte au terme d’une conversion radical dont nous ne pouvons parler ici ».
D’autres conséquences découlent de l’existence et du contenu de cette note. D’abord le fait que, parfaitement conscient (ici, dans l’Etre et le Néant) que le conflit est une contingence, Sartre laisse entendre que d’autres attitudes sont possibles et réelles, et méritent donc d’être décrites. Mais pourquoi ne sont-elles décrites nulle part dans l’œuvre de Sartre ? Auraient-elles jeté un discrédit rétro-actif sur les analyses exclusivement négativistes ? Il découle de cette note une autre conséquence fondamentale : l’éthique ne peut se fonder que par et sur une conversion. Or Sartre ne l’énonce clairement nulle part et, par exemple, n’établit aucun lien entre les interrogations morales sur la liberté et cette idée de conversion, à la fin de l’Etre et le Néant. Distrait ou retenu par d’autres préoccupations, Sartre n’aborde jamais le problème des conditions d’instauration d’une éthique à partir, précisément, d’un acte de conversion philosophique.
D’autres questions viennent à l’esprit : pourquoi ne pas relier le problème de la conversion et celui de la fondation ? Pourquoi ne pas décrire phénoménologiquement, et par suite réflexivement, l’acte même de conversion comme conversion réflexive et par conséquent comme acte d’un sujet ? C’est à toutes ces questions que nous aurons à répondre.
Toutes ces remarques mettent en évidence le fait que la conversion a de soi une signification éthique : le renouvellement de la pensée et de l’existence implique nécessairement la reconstruction de la relation à l’autre, et c’est cet acte même qui constitue l’éthique.
Mais la conversion, comme condition fondatrice de l’ouverture à l’autre et de l’instauration d’une philosophie et d’une éthique, comporte elle-même une condition de possibilité : il s’agit, bien entendu, de la liberté même.
La liberté, dans l’œuvre de Sartre, se donne comme la marque essentielle du pour-soi, puisque celui-ci n’est rien d’autre que la néantisation de l’en-soi (comme tentative opérée par l’en-soi pour se fonder) et que l’activité de néantisation est la définition même de la liberté. Dès lors qu’elle est contemporaine du pour-soi, la liberté se relie à toutes les structures de ce pour-soi : c’est la liberté qui est à l’œuvre dans cette néantisation statique qu’est la temporalité : c’est la liberté qui nie l’objet ou la situation et se fait ainsi reconnaître dans le circuit de l’ipséité ; c’est la liberté encore qui constitue le reflété comme psyché afin que le reflétant ait quelque chose à nier comme en-soi psychique ; c’est toujours la liberté qui, dans l’insaisissabilité de son propre être tente de saisir et de capter la liberté de l’autre ; c’est la liberté enfin qui, dans le mouvement de transcendance par quoi elle unifie les actes, les motifs et les fins, pose des valeurs qui indiquent toutes la Valeur, c’est-à-dire la synthèse (certes impossible) du manquant (l’idéal), de ce qui manque (le pour-soi) et du manqué (la totalité en-soi-pou-soi, totalité d’ailleurs perpétuellement détotalisée, non pas seulement dans la Critique de la Raison Dialectique, mais déjà dans l’Etre et le Néant). La liberté est donc bien au cœur du pour-soi, et comme sa structure fondamentale. Elle se relie à toutes les activités du pour-soi, elle en est même la signification centrale : la volonté ou la passion ne sont que des attitudes par lesquelles la liberté choisit de réaliser des fins qu’’elle a d’ailleurs librement choisies, antérieurement à toute raison et à toute délibération.
Cette présence constante de la liberté s’exprime à chaque instant du temps, en chaque moment de l’action : c’est en ce sens que le pour-soi n’est pas, mais a à être ce qu’il est, sur le mode du n’être pas.
Enfin l’impuissance de l’action, et l’impossibilité de l’être sont les marques mêmes du tragique. Indéniablement, Sartre est le grand tragique de ce siècle : conflit, malheur, échec, souffrance, aliénation, dispersion, gratuité, misère physique et morale, semblent dessiner les lignes du destin où s’enferme l’humanité. Elle est piégée dans l’impossible dépassable. On sait qu’il existe aussi un tragique heideggerien ; mais les conclusions politiques que tire Heidegger de sa réflexion sur l’être sont aux antipodes de celles que tire Sartre de ses descriptions du pour-soi. Ici se situe le paradoxe sartrien qui nous intéresse : d’une philosophie du désespoir, il souhaite tirer une philosophie de l’action qui soit libératrice, et cela, par la médiation d’une responsabilité conçue en fait comme liberté fraternelle.
Que le système conceptuel destiné à fonder ce passage du tragique à la générosité soit insuffisant ou contradictoire, c’est ce que nous avons tenté d’établir. Il faut insister sur l’un des sens de l’œuvre sartrienne : un effort pour affronter la solitude et la dépasser par une doctrine de l’action responsable. Mais ce dépassement n’est possible qu’au terme d’une transmutation radicale du regard philosophique et de l’attitude existentielle de départ. Seule une telle transmutation peut faire apparaître d’ailleurs le sens du paradoxe sartrien : l’opposition entre le malheur total et la liberté infinie provient, chez Sartre, d’un arrêt en cours de route : arrêt dans la réflexion, arrêt dans l’existence, puisque seule une théorie complète de la liberté (prenant en compte sérieusement le sujet, le désir et la valeur) aurait permis de comprendre la conversion, d’en évaluer les forces, et d’en faire ainsi l’instrument d’une victoire contre le malheur. Mais il ne fallait pas mettre la charrue avant les bœufs et décréter que la fondation de soi est impossible. L’appel à la responsabilité, s’il est privé du travail de fondation et de conversion, ne suffit pas pour dépasser le nihilisme et le formalisme. Si les valeurs sont équivalentes parce que non fondées par un sujet, alors la responsabilité est vide. De même l’appel fait à la générosité individuelle et politique est insuffisant pour justifier à lui seul le passage du conflit à la réciprocité.
Mais ces contradictions sont, malgré tout, la marque d’une richesse. C’est précisément cette fécondité qu’il faut mettre en évidence d’une façon directe, après l’avoir manifestée ailleurs d’une manière indirecte. C’est peut-être par une longue médiation sur l’œuvre et le tragique sartriens, mais aussi par l’engagement personnel le plus radical dans l’existence et dans l’écriture, qu’on peut se rendre capable de saisir l’évidence première : la liberté ne trouve son sens et sa justification que par le fait qu’elle fonde le passage de l’aliénation à l’indépendance et de la déréliction à la joie. La liberté n’est si radicale que parce qu’elle émane d’un sujet. L’action n’a de sens que par son rapport effectif à des valeurs humaines et réalisables. L’histoire n’est dramatique que parce qu’elle est le combat d’hommes libres et souffrants travaillant à leur joie. Contradictions, insuffisances, obscurités sont chez Sartre (non chez tous) le terrain éventuel d’une riche moisson philosophique.
Et ce qui lève, sur ce terreau tragique qui dit en somme comment se cristallise parfois la volonté malheureuse, ce peut fort bien être une philosophie eudémoniste qui aurait la lucidité des plus grands existentiels, et la richesse affirmative des plus grands penseurs de la joie.

Ouvrages cités :
Razmig Kencheyan, Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques. Zones, 2010, 316p.
Jean-Paul Sartre, L’Etre et le Néant, NRF, 1943.
Sigmund Freud, La Révolution de l’intime. Hors série, Le Monde, 2010. Débats p.94. L’inconscient existe-t-il ?
Jean-Paul Sartre, La Passion de la Révolte. Marianne. Hors série, Avril 2010.
Michel Onfray, Un bric-à-brac de génie, p.20
Bernard Fauconnier, Dans la tête du psychobiographe, p.53.
Catherine Clément, Don Quichotte contre le moulin freudien, p.74.
Le Monde Magazine, 30 ans après sa mort, Sartre n’a pas dit son dernier mot. Avril 2010. Dossier coordonné par Jean Birmbaum. Sartre par-delà les modes, p.16.
Annie Cohen-Solal, Une actualité sans frontière, p.18. Les groupes d’études sartriennes dans les Etats-Unis de Barack Obama.
Michel Onfray, Le crépuscule d’une idole, l’affabulation freudienne. Grasset
Jean-Paul Sartre, Les Mots, et autres récits autobiographiques. Gallimard. NRF.
Robert Misrahi, La problématique du sujet aujourd’hui.

Religion & Politics

Rethinking Religion and Politics: Ten years of New Labour Achievements and drawbacks in the perspective of Anthony Giddens.

Pierre BESSES
Université de Toulouse-Mirail

A radical rethink on Religion and Politics for New Labour.
The tide of scattering criticism of a new labour doomed to defeat in 2010 keeps rising: for Martin Jacques (New Statesman. June 2009) Obama has exposed the timidity of Blair and Brown. At the heart of the British problem of the left is that New Labour is the incumbent government. As the financial crisis struck, Barack Obama was able to present himself as an alternative to the Bush years; New Labour had no such advantage. On the contrary, it had been the architect of a system that had culminated in the mother of all postwar crises. The party has paid a savage price for its enthusiastic endorsement of neoliberalism. There is nothing Gordon Brown can do to escape that responsibility – he is deeply culpable, just like Tony Blair before him.
The result is twofold: first, people’s discontent with the recession has inevitably taken the form of a turn towards the Conservatives; and second, there is virtually no credible and strong left-of-centre voice.
The net result of twelve years of government by New Labour (plus three years before that of leadership of the party by Tony Blair) is the disintegration of Labour as a radical force. The true cost of New Labour, in other words, is not just the imminent electoral massacre, but the undermining of the party as a progressive force”. [1]
Against the impact of such a radical critique one could first underline one New Labour achievement: a keen awareness that the relationship between Religion and Politics needs a basic rethink. Richard Reeves clearly assesses the scope of this new relationship.[2]
According to Richard Reeves, the existence of a secular state has made it possible for the left – and the right- to accommodate those inspired by religious conviction, as well as those whose political activism springs from godless ground. But the accommodation of the left and religion is under strain, for a mixture of personal, ideological and social reasons.
The personal problem lies in the character of Tony Blair. It may be that Downing Street didn’t “do God”, at least after 2003, but the PM certainly does. It really doesn’t matter that he goes to church. Indeed, it is probably welcome. It doesn’t matter if he prayed with George W. Bush: if it happened, it was in private and they are both consenting adults. It does matter if Blair believes, as he appears to, that this ultimate responsibility for sending us to war is ton his Maker. Blair’s responsibility is on earth to the families of those injured and killed.
In such a secular perspective, which is shared by the New Statesman, in 2006, ideologically, religion has risen in importance again because of the collapse of the old, competing systems of left and right. Even the Christian Socialist Movement isn’t socialist any more. This collapse has made the moral grounding of left politics less certain. That is a gap which, for many, religion can fill. The moral resources of faith are richer, at least for now, than the humanist and relationalist philosophy be-queathed by the Enlightenment. The left defines itself, ultimately, by a thirst for justice. And while there are intellectually ingenious formulations of a justice society – not least John Rawl’s – none of them has much capacity to inspire action or change. For most philosophers and scientists, rationalism has defeated religion. The problem, politically, is that philosophers and scientists are in the minority: about as many Britons define themselves as lesbian, gay or bisexual as define themselves as atheist. Even if church attendance is low, most people agree with Tawney that we all have souls – and that one of the goals of progressive politicians is to SOS: to save, or at least protect, our souls from rapacious markets, poverty and discrimination.
But the greatest political challenge for the left, in terms of engagement with religion, is the rise of Islam. The instincts of centre-left politicians towards multiculturalism, freedom, secularization and a moral politics are in continual conflict when faced with e perceived threat from the militant wing of a system of belief with a wide following in the UK.
So far, the response of the government has been mostly correct: dismissing the crude secularization of the French ban on the hijab, allowing for the establishment of Muslim schools and working closely with the leaders of the Muslim community. The next step, probably imminent, is to remove the constitutional anomaly of bishops sitting in the House of Lords.
But there is a deeper, paradoxical problem. British Muslims are second-class citizens, but for reasons entirely unrelated to their faith. They are at a disadvantage in the labour market and wider economy because of their disproportionate levels of poverty and because of race discrimination. The loss of a clear political vehicle for addressing these injustices –such as socialism- means that their religion becomes both the mode of expression for anger, and the means by which redress is sought.
The intertwining of religious faith and social injustice is not going to disappear. The correct response is to create the necessary space for its peaceful expression. This applies most obviously to debates between religious groups. But it equally applies to the debate between atheist, Darwinist scientists, such as Richard Dawkins, and philosophers, such as Daniel Dennett, and their religious opponents. They seem to forget that one of the most important legacies of the Enlightenment, especially in Britain, was a conviction that the truth emerges from the continual collision of ideas. (Their own faith must be pretty shaky of the crazy creationists can get them so rattled).
“It is the time for the left to rethink the relationship between secularisation and politics. Religion continues to provide many of the raw materials for progressive politics. But it can do so without a particular link to the state. Disestablishment should clear the way for more realistic debate about the role of different, competing value systems: which is a pretty good definition of politics done properly. And with enough will and courage, the secularization of British Islam that is required will take place. This will not weaken Islam, or the left, but strengthen them both. What is certain is that the left serves the causes of both progress and peace ill by wishing religion away.”[3]
The first New Labour paradox: going back to the U.K. civil religion.
In such a specific British context for a new relationship between religion and politics, the British cultural and political exception of the pseudo secular Nation State is the clever choice made by Tony Blair in 1997: to take advantage of the ideological strength of Britain’s Civil Religion. The two New Labour leaders and the Tories share the political truth underlined by social scientists: Britain’s cultural identity lies in the fact that a series of institutions can be seen as linked together to make up a major component of British society’s patriarchal culture. These are: the nation, the armed forces, the family, the church and the monarchy. Together they could be said to constitute the main part of the archaic heritage of this society, or the central elements of its patriarchal culture. This culture is constituted by certain moral values, beliefs, rituals and symbols which operate within the institutions mentioned. It produces and reproduces the gender roles and definitions os sexuality which most peoples think of as natural and normal –the heterosexual, monogamous family.
An important component of this ideological structure and set of social practices is the Royal Family. The rituals surrounding not only the monarch but others members of the Royal Family are central events in the “civil religion” (R. Bellah, 1970) which persists in modern Britain. The recent examples of such royal ritual occasions include the Silver Jubilee in 1977, to celebrate twenty-five years since the Queen came to the throne; the eightieth birthday of the Queen Mother in 1980; and the marriage of Prince Charles and Lady Diana in 1981. There are, in addition to these specials events, the regular cycle of royal civic rituals throughout each year, such as the Christmas Day television broadcast by the monarch, the State Opening of Parliament, and the Remembrance Day events.
These rituals are a complicated mix of a number of analytical types of ritual action. The central ones are civic rituals by the Head of State, such as the State Opening of Parliament; life-cycle rituals such as Royal weddings and birthdays; military ritual such as the Trooping of the Colour on the Remembrance Day ceremonies. These could be said to constitute the civil religion of Britain, to use Bellah’s term, rather than being, strictly speaking, religion in the sense of beliefs and rituals which purport to be in contact with the “holy” or the “numinous” – as R. Otto, 1924) called the special sense of awe which he saw as typifying religious experience and ritual.
“Civil religion” in the United States and Britain is not itself Christianity, according to Bellah, even though it draws upon themes and symbols from Christianity. The “God” of American civil religion is unitarian, for example, not the complex Trinitarian God of Christianity, Bellah argued (Bellah, 1970). A civil religion focuses on a particular nation-state, whereas a major world religion is universalist and does not teach or claim that loyalty to any particular nation-state is a necessary prerequisite for “salvation”. Civil religions do focus upon generating loyalty to a particular nation state. The Church of England, for example, combines aspects of both types, being a civic religious organization focused on England, and part of the universal religion of Christianity. Tensions have actually resulted from this dual aspect from time to time, whenever church leaders have stressed universal values and used them to criticize politicians’ activities and policies. Politicians have typically expected legitimation from the Church of England, and certainly not criticism. The tension can erupt whenever the church leaders stress universal Christian values of reconciliation, love and the equality of all people in the eyes of God and find fault with particular political actions, for instance, the bombing of civilian targets in the Second World War, which was criticised by Bishop Bell; the criticism of the nuclear deterrent in “The Church and the Bomb” report in 1982; or the Tory government’s handling of unemployment and the 1984 miners’ strike criticized by a number of bishops, including the Archbishop of Canterbury. (In this context, it is worth nothing that the Church of England still commands attention and retains a latent loyalty among many English people; there out of every five people claimed to be members of the Church of England in a National Poll carried out for The Times in 1978.)[4]
The New Labour case for the Bishops.
If going back to the U.K. civil religion must be interpreted as a reason of the Secular State, the second New Labour paradox and contradiction for the last ten years is the two leaders advocating the bishops’ presence in the Lords. Using the same rhetoric as the Lord Bishop of Chelmsford in March 2007 on the reform of the Lords Jack Straw brings his contribution to such a conservative rethink in the relationship between religion and politics when he refers to the essential constitutional reform: he has done more any other politician in recent decades to reform the House of Lords and to introduce a new elected second chamber. His white paper of July 2008 set out how an elected second chamber might and showed work. Yet, such a New Labour reform means a paradoxical justification of the Bishops now arguing for the continuation of their anachronistic and undemocratic presence in the legislature by suggesting for the Lord Bishop of Chelmsford, “the 21st century” has seen an awakening of consciousness in public life of the importance of religion, faith and belief in the pursuit of the common good.
Such are the threadbare, almost desperate arguments that are now being used by the Church of England to justify its continuing presence in any reformed upper house. But at least the bishops can find some consolation from a powerful and unexpected quarter. The Labour government, in its own proposals for reform, almost totally accepts their case for their retention. Its only concession to those who find the continued presence of the bishops an appalling anachronism has been to propose that their numbers be reduced from 26 to 16.
What could have possessed a modernizing Labour government to even entertain the idea of special treatment for the bishops, let alone enshrine their privileged position in an otherwise reformed House of Lords? That, in essence, was the question Liberal Democrat MP Evan Harris addressed to Jack Straw in a Commons debate in February this year. Astonishingly, in his reply Straw appeared to suggest that not only was the presence of the bishops desirable: it was essential for the future of the country.
He did concede that, while many European countries have a state church, Britain is an exception in allowing it political representation. But, he added, “We are also an exception in being the only country in Europe that I can think of that has survived for three centuries without a bloody revolution, occupation or the humiliation of neutrality in a just war.”
For the last three centuries we have been the only country in Europe which affords its bishops a privileged place in the legislature. But for the last three centuries we have also been the only country in Europe which has not had to suffer a bloody revolution. Is Jack Straw suggesting that this is a logical link? Almost. We might not have a bloody revolution. If the bishops were removed but there could easily be all sorts of other trouble.
“My view”, he concluded, “is that Lord Wakeham and his fellow commissions were correct when they said: “While there is no direct or logical connection between the establishment of the Church of England and the presence of Church of England bishops in the second chamber, their removal would be likely to raise the whole question of the relationship between Church, State and Monarchy, with unpredictable consequences”.
Such nebulous scare tactics cut little ice with Labour Humanist Group supporter Lord Harrison. “As a working peer in the House of Lords, I am uncomfortable with the increasingly discordant and outdated note that the phalanx of bishops of the Church of England bring to our modern discourse in the debating of the Lords. They are there by right supposedly because we are deemed to be a nation with an established Church and so they, but not any other religious representatives, or indeed anyone from the atheist or humanist congregation, alone have the right to decide the laws of this country as they pertain to you and me and the vast majority of Britons who in their daily lives profess no religion, don’t go to church or who are indifferent to the blandishments of the Church”.
But the bishops don’t spend all those years in seminaries for nothing. Their theological ability to prove the divinity of Christ and the validity of the resurrection can come in very useful when it comes to arguing the case for the maintenance of their own privileges. Instead of defending their religious monopoly in the Lords, the bishops have started to agree, with nods towards the new multi-faith character of Britain, that other religions should be accorded similar privileges. What the House of Lords needs, proclaim the bishops, are not fewer but more members representing religious groups.
“I fully support what was said by the right reverend Prelate the Bishop of Chelmsford”, declared Lord Harries of Pentregarth in the same debate on Lords reform. “I urge that the statutory Appointments Commission takes very seriously the question of appointing distinguished people who can be seen in some way to be representative of Christian denominations other than the Anglican Church and of other faith communities. I know that the religious dimension is not welcomed by all your Lordships, but the fact is that religion is now a major player on the public stage of both this country and the world as a whole and it is vital that voices who want to be heard are connected with this House in some way”.
A similar tack was taken by Lord Oakeshott of Seagrove Bay. “What a boon it would be”, he enthused, ‘to have the Chief Rabbi or an equally authoritative voice of Judaism in our House. A statutory commission should work hard also to let more Hindu and Muslim voices be heard –and I do not believe that we have a single Sikh”. Interestingly, Lord Oakeshott then went on to reveal who had prompted this part of his speech. “I was encouraged, in church last Sunday, to make these points by a retired occupant of the Bishops’ Bench”.[5]
In spite of these two major drawbacks shared by Tony Blair and Gordon Brown agreeing with Jack Straw in their common consensus on the scope of an elected second chamber for 2010, in the perspective of Anthony Giddens, the third requirement for a rethink of this relationship is clearly stated in the advice to New Labour: “No going up on multiculturalism”[6].
Tony Blair and Gordon Brown perfectly understand the case for Muslim immigration viewed by Philippe Legrain. He argues for the opening of borders to let Muslims migrants come and go as they please. He quotes the celebrated economist J. K. Galbraith, who once wrote:”Migration selects those who most want help. It is good for the country to which they go; it helps break the equilibrium of poverty in the country from which they come. What is the perversity in the human soul that causes people to resist so obvious a good?”. Legrain wants to make the “missing link” with globalization. The case for free migration, he says, follows on logically from the case for free trade. Those who want to help the poor countries of the world could do so best by allowing freer international migration. Don’t try to keep them out – on the contrary, let them in!
Free migration, according to Legrain, would benefit everybody, for the reason given by Galbraith, and for other reasons too. Virtually all forms of migration, he says, bring economic benefits to the host country. Immigrants work hard and pay their taxes. The diversity stimulates creativity and innovation. Unskilled immigrants do jobs that natives often wouldn’t do, while skilled ones fill gaps where there are labour shortages. Contrary to popular prejudice, immigrants contribute more to welfare systems than they take from them. On average they tend to have more children than the host population, offsetting, to some degree, the dramatic drop in birth rates in some areas. Legrain gives short shrift to the idea that cultural minorities are a threat to the core values of the West.
Many Muslims in Europe, he points out, are not religious at all. Most are not socially conservative and do not hold antiquated views about women. Among those holding culturally conservative views, the majority want integration without assimilation: they wish to be active in the wider society, but without discarding their religious views and practices. There are not in fact many ultraorthodox Muslims in Europe. And we should remember, Legrain concludes, that the Christian churches have their share of the ultraorthodox, as do Jews; we do not judge these religions by their ideas, and we should not do so in the case of Muslims either.
It is not remotely likely that the developed countries will open up their borders to all and sundry. Nor should they. The immigration of lows-skilled workers is problematic, especially at a time when unskilled work is drying up. Such migrants come into poorer neighborhoods, and it is clear that they might add to the pool of unemployed, or lower the wages of workers already in the area. Where their children do not speak English, there are significant costs incurred to provide the special needs training that might be required. If they are from a peasant background, where the rhythm of work is variable and seasonal, it may be difficult to adjust to a quite different work discipline. The anxieties that many feel about immigration might be stoked up by the tabloids, but it would be quite wrong simply to see the public as irrational and leave it at that. When large numbers of immigrants move into an area, the nature of the neighbourhood can change massively as far as local residents are concerned. Think of how different Bethnal Green is now works from how it was half a century ago. One of the most famous works of social science, Family and Kinship in East London, written by Michael Young and Peter Wilmott, published at that time, described the nature of working-class life there.
When Young and Wilmott carried out their research, in the 1950s, virtually all the inhabitants of the area were white, although there were certainly some immigrants among them. Geoff Dench and Kate Gavron spent twelve years studying the borough of Tower Hamlets. They carried out well over a thousand interviews with people of different ethnic groups living in the area, to try to trace the experience of the white families that had been studied by Young and Wilmott years before.
Today, there is a large and youthful Bangladeshi community in the area, amounting to a third of those living in the borough, as wall as other ethnic groups. These all coexist reasonably well, but there are also significant tensions, and a good deal of simmering resentment on the part of the indigenous whites. They complain about the habits and customs of the Bangladeshis. Their main resentments, however, concern the rights of the Bangladeshis to housing and other benefits provided by the welfare system. Some of these complaints, the authors accept, come from misunderstandings about how welfare entitlements operate. Others, they say, are based on a real sense of social injustice.
Since the 1980s there has been a struggle over housing, which is in short supply. The housing shortage in the area was exacerbated by a policy of selling council houses to their occupants, without any replacement building programme. The waiting list for social housing was once based on giving priority to applicants with established connections to the area, but now it is allocated according to whoever is deemed most needy – a policy that the white inhabitants feel unduly favours the Bangladeshis families. One of the consequences is that the networks of support and community among the whites that Young and Wilmott found are breaking up.
Of course, there are larger social processes involved in all this too, but the sense of social injustice comes from what the whites experience as a dismissal of the investment that they, their parents and grandparents had put into the area – often, as they see it, against the odds, since it was always a place where people struggled to make ends meet. Their attitudes don’t seem to stem from racism. Few respondents saw the immigrants themselves as being at fault and few denied that many Bangladeshi families live in greater poverty than themselves. Many who resented the system of housing allocation were friendly with their Bangladeshi neighbours.
The white working class might be in steady decline statistically, but it still comprises millions of people. There has always been a streak of authoritarianism in working-class communities, and xenophobia too. But Dench and Gavron’s argument that there are well-grounded resentments among the ‘forgotten white working class” is important. Such feelings fuel a disengagement from politics, and a turn towards far a right populism among white groups. We will not be able to respond to these problems effectively if such feelings are not properly understood or dismissed as rank prejudice.[7]
Jack Straw, in his Blackburn constituency, is the best example illustrating the achievement of the New Labour policy for Islam in a multicultural society advocated by Anthony Giddens. In the old mill towns of Preston, Bury, Bolton and Blackburn, Jack Straw knows the attendant problems of high unemployment, urban decay and social fragmentation. There are large British Muslim populations in each of these towns and, to the occasional visitor at least, their separation from wider society becomes more obvious with each passing year – more girls and women are choosing to wear the hijab, niqab or burqa, young men are becoming more devout, and there is a sense of greater atomization.
In central Blackburn, Jack Straw can witness what is known by some locals as the “Khyber Pass”, a parade of shops and red-brick terrace houses, owned mostly by Muslims. He asked some of those working in and visiting the shops about life in the town. There is understandable resentment from these people, many of them third-generation Britons, at how they hear themselves being referred to as “them” or “they” – as being stigmatized, in effect, as the hostile Other. Across the divide, there is sadness at how some Muslims are choosing to reject western pluralism. Straw remains popular in the town – his majority increased slightly at the 2005 election, when nationwide anger about the occupation of Iraq was most intense – but some Muslim women have not forgiven him for describing the niqab, or full veil, as a “visible statement of separation and of difference”.
“I stand by those remarks” Straw says now. “I defend the right of women to wear what they want, but equally I defend my right to comment freely and honestly on social issues”.
If some moderate Muslims are critical of Straw, there are those among the pro-Iraq war left who think he has appeased Islamists, refusing when he had the chance to ban His but-Tahrir, the London operation of which was set up by Omar Bakri Brotherhood who later went on to found al-Muhajiroun, or distancing himself from the work of the Muslim Council of Britain. “The Muslim Council of Britain is a good thing” Straw tells. “Iqbal Sacranie (the council’s former general secretary) is a good friend of mine; As for His but-Tahrir, I want to see evidence that tells ma the organization should be banned. It’s absurd to say I’m soft on Islamism. To ban organization, you first need evidence.”
On the issue of Switzerland’s outlawing of the building of minarets on mosques, Straw says:”This is preposterous, a form of religious persecution….we should be worried about. We have seen this kind of thing before in Europe, with the banning of the Star of David. We all know about the levels of anti-Semitism in the late 1930s and where that led us.”
Straw’s position in relation to Islam – criticized by moderate Muslims but considered by some to be soft on Islamism – must be taken as an example of how, too often, he seems to find himself occupying a shaded, ambiguous space between conflicting standpoints, if never quite seeking simultaneously to hold two contradictory positions. His friends say that he opposed the invasion of Iraq and did “everything he could to prevent it”, and yet he did not resign in protest from the government, as Robin Cook did, and will go before the Chilcot inquiry in an attempt to justify retrospectively an illegal war in which he did not believe and about which he speaks, not with the zeal of a liberal internationalist or nation-builder, but in the evasions of opaque legalese.[8]
For Anthony Giddens, such a rethink of the relationship between Religion and politics eventually involves for the two leaders a belief in the achievements of the Canadian paradigm theorized by Charles Taylor. In his opinion, New Labour should defend multiculturalism especially in the face of the more ignorant attacks to which the idea is subject. However they should distinguish between naïve and sophisticated multiculturalism. Naïve multiculturalism is the thesis that different ethnic or cultural groups should be left alone to get on with their lives as they see fit, no matter what the consequences for others; and the notion that their beliefs and practices should not be challenged. Naïve multiculturalists see a society as simply an aggregate of different cultural communities, in which the majority or host population is just one ethnic community among others.
In a recent book, Amartya Sen makes a similar distinction, using different labels. He separates multiculturalism as such from what he calls “plural multiculturalism”. The first refers to “two styles or traditions coexisting side by side, without the twain meeting”. This version “seems to get most of the vocal and loud defence from alleged multiculturalists”. Plural multiculturalism involves active interaction between cultural communities. For instance, there was no chilli in India until it was brought there by the Portuguese, but now it is used very widely in Indian cooking. Hence, “Indian food…can genuinely claim to be multicultural”.
As Anthony Giddens puts it, sophisticated multiculturalism has its origins principally in Canada. It emphasizes the overarching importance of national identity, with its symbols, laws and ceremonials. Rather than encouraging the development of separate cultural communities, there should be an insistence upon fostering connections between them, and with the overall national community. National law and international law override all specific cultural beliefs and practices. Political correctness is rejected in favour of policies that promote social solidarity across cultural divisions.
In the academic world, there has been a long-running debate about multiculturalism, one that is still continuing. However, no one of any intellectual standing argues that multiculturalism implies denying overall values, the need for a common identity in a society, or advocates the separation of society into distinct cultural segments. The leading advocate of multiculturalism is the Canadian philosopher Charles Taylor. Taylor says that two concepts are involved when we discuss equal rights as applied to minority groups. One is that all people should have equal dignity, whatever culture they might belong to or lifestyle they might follow – this is a principle of universal citizenship within a society.
The second, just as important, is respect, or what Taylor, following Hegel, calls “the politics of recognition”. Acceptance from others, Taylor argues, is crucial to a sense of self-worth. Our identities are defined in interaction with others. Multiculturalism is not about separate identities, but about mutual recognition, and therefore interaction. It is exactly when members of minority groups are treated as “separate and lien” that problems arise. A democratic society cannot possibly be a patchwork of disconnected cultures. As Taylor puts it: [T]he societies we are striving to create-free, democratic, willing to some degree to share equally- require strong identification on the part of their citizens.”
Commitment to equal respect is therefore an elemental part of multiculturalism. Equality of status, however, does not in any sense imply uncritical acceptance of beliefs and practices of others. “It is how we do things” is an acceptable defence of cultural principles where they don’t impinge upon those of others, but not where they do. The clearest case is that of the law of the land, which has to be accepted by all. In Britain, for example, like other citizens, Muslims cannot by law practice polygamy, engage in honour killings, practice female circumcision or prevent freedom or speech.
Practices that are perfectly legal, but which impinge on public space, have to be open to critical discussion, whatever is eventually decided about them. Around the edges of such encounters, it will always be difficult to take decisions, since there are grey areas where the different principles can collide. For example, should a woman who works in public settings, where there is constant interaction with others-such as a teacher in a classroom- be able to wear the full veil, in which her face is almost completely covered? Interaction with others is only open and free if one can see the face of the other, since facial expressions are so important to communication. The value of preserving public space should override other considerations.
All sorts of people have attacked multiculturalism over the past few years. Among the most surprising of such broadsides was that by Trevor Phillips, chairman of the Commission for Racial Equality. He has argued that multiculturalism is out of date and no longer useful. Such a view seems simply to be out of touch with what the concept actually means. Discussing Phillip’s speech, Tariq Modood quite properly pointed out that:”Those who say multiculturalism means separatism clearly are not talking about the multiculturalism that is found in the main texts of academics or public policy practitioners”.
How should New Labour define multiculturalism? It must not be confused with cultural diversity as such. Tony Blair and Gordon Brown cannot call a society “multicultural” simply because it contains people of many different cultures. People talk loosely, for example, of “multicultural London”, but this usage is not helpful. (Sophisticated) multiculturalism refers to a set of ideals, backed by policies:
· Valuing diversity, as a means of enriching the life of all members of a societ;
· Recognition, in Taylor’s sense - respect for others whose way of life is different from one’s own, and getting similar respect back;
· Interaction between diverse cultures, fostering mutual understanding;
· Acceptance of a common overall identity as members of a national community, as a “community of fate” – that is, being bound by laws and collective decisions that affect everyone.[9]

Tony Blair’s Catholic new Gospel.
If the rethinking of the relationship between Religion and Politics should be seen as an ideological achievement, thanks to Anthony Giddens illuminating the significance of the British melting pot and its Canadian model, it cannot hide their major cultural divide: the Lords spiritual, the Muslim immigrants, the ethnic minorities, in this new cosmopolitan society are seen according to different perspectives. For Tony Blair they must be understood in the light of his new Faith Foundation. For Gordon Brown their secular identity means they are first citizens of the good society as permanent labour utopia. In the context of the Great Global Catholic Revival preached by Benedict XVI, and interpreted by Richard Dawkins, the Tony Blair Foundation is built on five basic tenets which are meant to stand against the fallacies of Samuel Huntington on the clash of the eight religious civilizations. The great benefits of faith that it seeks to promote are first a firm commitment to Diversity will lead us to source new networking partnership opportunities with the many hundred of African tribal religions.
Sacrificing goats may present problems with the RSPCA, but we hope to persuade them to adjust their priorities to take proper account of religious sensibilities.
1. “We are working across religious divides towards a common goal – ending the scandal of deaths from malaria”. Plus, of course, we mustn’t forget the countless deaths from Aids. This is where we can learn from the Pope’s inspiring vision, expounded recently on his visit to Africa. Drawing on his reserves of scientist and medical knowledge – informed and deepened by the Values that only faith can bring. His Holiness explained that the scourge of Aids is made worse, not better, by condoms. His advocacy of abstinence may have dismayed some medical experts (and the same goes for his deeply and sincerely held opposition to stem-cell research). But surely to goodness we must find room for a diverse range of opinions. All opinions, after all, are equally valid, and there are many ways of knowing, spiritual as well as factual. That, at the end of the day, is what the Foundation is all about.
2. “We have established Face to Faith, an interfaith schools programme to counter intolerance and extremism”. The great thing is to foster diversity, as Tony himself said in 2002, when challenged by a (rather intolerant!!!!) MP about a school in Gateshead teaching children that the world is only 6000 years old. Of course you may think, as Tony himself happens to, that the true age of the world is 4.6 billion years. But in this multicultural world, we must find room to tolerate – and indeed actively foster – all opinions: the more diverse, the better. We are looking to set up video-conferencing dialogues to brainstorm our differences. By the way, that Gateshead school ticked lots of boxes when it came to GCSE results, which just goes to show.
3. “Children of one faith and culture will have the chance to interact with children of another, getting a real sense of each other’s lived experience”. Thanks to Tony’s policy of putting as many children as possible in faith schools where they can’t befriend kids from other backgrounds, the need for this interaction and mutual understanding has never been so strong. So strongly do we support the principle that children should be sent to schools which will identify them with their parents’ beliefs, that we think there is a real opportunity here to broaden it out. In Phase 2, we look to facilitate separate chools for Postmodernist children, Leavisite children and Saussurian Structuralist children. And in Phase 3 we shall roll out yet more separate schools, for Keynesian children, Monetarist children and even neo-Marxist children.
4. “We are working with the Coexist Foundation and Cambridge University to develop the concept of Abraham House”. I always think it’s so important to coexist with our brothers and sisters of the other Abrahamic faiths. Of course we have our differences. But we must all learn mutual respect. For example, we need to understand and sympathise with the deep hurt and offense that a man can feel if we insult his traditional beliefs by trying to stop him beating his wife or setting fire to his daughter or cutting off her clitoris (and please don’t let’s hear any racist or Islamophobic objections to these important expressions of faith). We shall support the introduction of sharia courts, but on a strictly voluntary basis – only for those whose husbands and fathers freely choose it.
5. “The Blair Foundation will work to leverage mutual respect and understanding between seemingly incompatible faith traditions”. After all, despite our differences, we do have one important thing in common: all of us in the faith communities hold firm beliefs in the total absence of evidence, which leaves us free to believe anything we like. So, at the very least, we can be united in claiming a privileged role for all these private beliefs in the formulation of public policy.[10]
On the other hand, for Gordon Brown, the believer in Adam Smith’s puritan values, such a rethink of the relationship between religion and politics in a Progressive Manifesto for 2010, means a return to the labour standard ideal of the good society. Such old labour values imply a common belief in the basic tenets of a left communitarianism: the New Labour reborn Puritan shares with his progressive fellow travelers the view that neoliberalism rests on an atomic picture of the individual as an isolated competitive profit maximiser. But human beings are social creatures: we need to recognize our interdependency and make a virtue of it. We need a social vision that emphasizes solidarity and mutuality. This is the “good society”. Concretely, this points to a renewed emphasis on economic equality and collective action, albeit with a stronger role for civil society than in the past. The market must be kept firmly in its place, which is not in the public sector. Among Gordon Bronw’s supporters, one could quote the Labour MP Jon Cruddas; Jonathan Rutherfors, academic and chair of the Compass Good Society working group; Neal Lawson, chair of Compass; and Madeleine Bunting, Guardian columnist and former Demos director. And among his guiding spirits, the communitarian philosopher Charles Taylor, figures of the “culturalist” new left such as Raymond Williams; and ethical socialists such as R. H. Tawney. The emphasis on cultural renewal also suggests a link to Antonio Gramsci. [11]
Such a rethink of the relationship between Religion and Politics required by Richard Reeves might be easily seen as the very condition to find a cure for its basic flaw: its lack of creed…It was clearly perceived by Tawney whose words echo down the years when writing about the debacle in 1931. Tawney describes how the government “did not fall with a crash, in a tornado from the blue. But crawled slowly to its doom.
The Labour Party is hesitant in action, because divided in mind. It does not achieve what it could, because it does not know what it wants. He does not pull his punches. There is a void in the mind of the Labour Party which leads us into intellectual timidity, conservatism, conventionality, which keeps policy trailing tardily in the rear of realities.
Hardie and Tawney were part of a tradition that gives us hope and vitality, and charts a way out of the trap of orthodoxy. Now is the time for that tradition to be rediscovered.[12]

Yet if these accomplishments in the New Labour rethink of Religion and Politics can be assessed as positive in the light of Anthony Giddens, they must also be questioned for their impact on the U.K. multicultural society in 2010: for the camp of the Humanists, Tony Blair’s Faith Foundation reveals an ominous acting as the Pope’s spokesman in his speech at Rimini, cultural revolution to be read as a conservative counter revolution for the New Labour secular values, described by Jon Cruddas as an ethical socialism. In her editorial, Laurie Taylor clearly assesses the dangerous scope of this return to catholic conservative values. For her, no one, with the possible exception of Osama Bin Laden, has done more to bring the toxic certainties of religious belief back into politics and public culture, and this has had nothing but a destructive influence on our hard-won secular settlement. Ever since he surfaced – the young lawyer with the good hair and intense eyes – there’s been something of the evensong about him. Something earnest and preachy and frankly off-putting. What looked at first like a bold new vision, and certainly inspired devotion in a generation of voters and party hacks, turned out to be a mirage.
Tony Blair has dominated politics in this country for a decade and his preacherly tones has emboldened all manner of scriptural bureaucrats and self-appointed faith leaders eager for a public voice – from Iqbal Sacranie to Jonh Sentamu to Cormac Murphy O’Conner – to believe that religion is squarely back on the agenda.
Politics, the balancing of competing claims and limited resources, the art of the possible, of compromise and consensus, has been fatally distorted by the reintroduction of Holy Book-inspired moral certainties, most egregiously in relation to the Iraq war. Though Blair never actually said “God make me do it”, all his talk of it being “what I believed to be the right thing”, and something for which he would be judged by his “maker” smacked of exactly the kind of divine certainly which underpins a crusade.
That a democratic leader feels he is answerable only to a supernatural being smacks also of a misunderstanding of how elections work. It could be that the country is gearing up to remind New Labour who does the judging.
Blair’s bowing to religious thinking and active support for the burgeoning of the faith industry in the political arena is having all kinds of negative consequences. Last issue we highlighted the way Blair’s City Academy policy provided a back door into education for religious special interests. This issue our cover story reveals how bishops are now arguing for the continuation of their anachronistic and undemocratic presence in the legislature by suggesting that it is the idea of the separation between church and state that is the anachronism, and that, in the words of one Lord Spiritual, “the 21st century has seen an awakening of consciousness in public life of the importance of religion, faith and belief”.
That acceptance of religion as a benign political force is largely due to the style and disastrous faith agenda of our outgoing premier. Such new-found confidence in religion as an alternative to politics has become de rigueur internationally too.
Blair has found common cause with several leaders of putatively democratic countries who seem happy to accept scriptural explanations, and propose spiritual solutions, for critical social or environmental problems. George Bush’s response to the Virgina Tech massacre was to suggest that solace, and the resolution of the battle between good folks and baddies, lies in prayer rather than, say, a frank discussion of American gun laws. In Australia John Howard, another active Christian who has overseen the return of religion to the public sphere, has spent years pooh-poohing climate change warnings only to find his country facing the most serious drought in its history. His solution? “Pray for rain”.
Back in Britain Humanists look forward to the end of the Blair era signaling an end to the fallacious idea that the solutions to the intractable problems of the current time – inequality, social disengagement, environmental disaster – are to be found through prayer or divine intervention, rather than in the grubby, compromised human world or real democratic politics and evidence-based argument.
Humanists yet know what Gordon Brown might do with the faith agenda, or how long he might have to do it. But they hope he, or whoever in the long term comes after Blair, has noticed that the British people don’t like preaching.[13]

Back to the U.S. paradigm: the Anglicization of Islam.
If the insights of Anthony Giddens and Richard Reeves cannot be more illuminating to assess the achievements of New Labour in the new relationship between Religion and politics in the last ten years, one basic fact remains: one of the greatest challenges of the left is the rise of Islam. In the context of the two wars in Iraq and Afghanistan, the most efficient policy is that discussed by John Denham as the Fabian Secretary of State, keenly aware that the first political duty and mission of New Labour in the 2010 general Election will be to advocate the Anglicization of Islam in the new multicultural society, threatened by the islamists rejoicing over the Coffins of the military, back from the two wars in the Middle East.
For the Secretary of State for communities and local government, in this speech on October 22 2009, the first target is the British Muslims. New Labour should copy the mission of Engage, fighting for their political participation: the Secretary and this progressive press in the Midlands should be dedicated to promoting greater media awareness of islamophobia, and civic engagement amongst these new citizens. Hence rhetoric for a new relationship between faith and government for 2010, again John Denham stresses one basic fact: in the context of Media tired of seeing Muslims vilified in the British Press, “Politicians are interested in shaping society for the better. Faith is one of the powerful forces shape society”. Most people of faith are concerned for the human experience today, as well as spiritual welfare in the future. It is natural and inevitable that we should be interested in each other.
“However, the starting point has to be respect for faith itself; for the powerful meaning which faith has for many individuals. For many people, their faith plays a defining role in their lives. It runs to the heart of their character and is a central part of their identity. At different times, it can inspire and give purpose; it is a source of consolation and comfort. It brings duties and responsibilities; often challenge – but also an immense source of joy and hope.”(speech 22 October 2009)
In the perspective of the Secretary of State, it has inspired a response at times of humanitarian and political crisis. In the way, for example, that faith communities responded to apartheid in the 1980s, to casualties of the Bosnian war in the 1990s, to victims of the Tsunami more recently.
John Denham thinks that one does not need to have faith to recognize the way people we know have been sustained by their faith through grave illness, through caring and nursing responsibilities, or unemployment.
“Of course, throughout our history, many people have been inspired by these private convictions to enter politics and public life. In Europe, social democracy was often constructed in opposition to religious faith, and could even be actively hostile and militantly anti-religious. I am going to make the crass mistake of claiming faith for my political party. But the influence of faith is well illustrated by its influence on and involvement in Labour history.” (ibid, 22 october 2009)
Many early social reformers – like Sir Thomas Buxton, Elizabeth Fry, William Wilberforce, Charles Wesley, and William Booth – were inspired by their religion to speak out against the social injustice crushing poverty and unspeakable living conditions they saw around them.
“Those if us who politically share that history can hardly fait to respect the importance of faith in the lives of those with whom we work. I know some of those who recognize the importance of engagement with government, nonetheless believe that government has an instrumentalist view of faith. That we are only interested in you when we have a problem to solve.” (ibid, 22 october 2009)
By contrast, they want faith to be respected in its own right; not as a prop to government. I agree. I believe that respect has to be the starting point. Government should respect – should value, prize, and celebrate – those things which matter to its citizens. And as I have acknowledged, for many citizens in this country, their faith shapes and defines who they are. Any government which treats that lightly will govern badly.
Whether New Labour wishes to promote greater environmental awareness and sustainable behavior, reduce obesity, raise parental aspirations, or sustain support for international development, good government frequently returns to the question of what really makes people tick. So good government is understandably and sensibly interested in the factors which influence and shape people’s behavior. What motivates and drives them to behave as they do; and how their behavior, in turn, has an impact and effect on other people, for good or ill.
The Secretary of State is convinced that politicians and policy makers must have a deeper appreciation and understanding of the other factors which motivate people’s attitudes and values – and how that is reflected in their behavior. Now, it would be quite wrong to suggest that faith organizations alone are responsible for defining, shaping and transmitting values in these key areas. It is not necessary to have faith to be deeply moral and profoundly altruistic. But the reality is, of course, that for millions of people, faith has an enormous influence in these areas of life.
“We should acknowledge and welcome the contribution faith makes to shaping these behaviours and transmitting these values. Anyone wanting to change society in a progressive direction would ignore the powerful role of a faith at their peril.” (ibid, 22 October 2009)
All the great religious faiths share a common commitment to community, social justice and peace – and many members strive tirelessly to achieve those goals. Faith groups have been prominent in international efforts like the Jubilee Campaign, and campaigns for Fair Trade. Faith is a strong and powerful source of honesty, solidarity, generosity – the very values which are essential to politics, to our economy and our society.
Sometimes, faith groups will express those values in a critique of government policy. Back in the 1970s, faith groups formed the backbone of the campaign to achieve our first anti-homelessness legislation. In the 1980s, the Church of England’s faith and the City ‘report made a stark assessment of the impact of neo-liberal policy in inner cities, which helped spark a wider social debate about unemployment, inequality, and urban decline. More recently, others have spoken out about the Iraq war and the gap between rich and poor.
In this New Labour and Fabian perspective, this has not always been comfortable for governments – and nor should it be. A legitimate criticism, grounded in faith and drawing on your experience in practical work in the community is part of the unique perspective that people of faith can bring to the debate.
The New Labour and British way suggest that a confident democratic society should not only permit but welcome and celebrate the expression of faith in the public sphere. It is clear that New Labour should all be equal citizens under the law. As principle of the Jewish religious courts says “the law of the land is the law” – the law of the land takes on the same status as a religious obligation; so in Jewish tradition a person of faith is obligated by religious as well as national law to adhere to the law of the land.
The law can accommodate alternative procedures, voluntarily entered into, for resolving disputes. Sensitivity to religious concerns, such as the introduction of Sharia compliant financial products, can increase choice for all.
But it would never be acceptable to undermine or weaken people’s rights on religious grounds. No one can lose their rights under the law because they may be of a particular faith. Faith groups have a strong and proud tradition of working together without government involvement, driven by a desire to better understand each other and to tackle areas of mutual concern.
Back in 1942, the “Council of Christians and Jews” was founded to promote religious and cultural understanding, and combating religious discrimination. More recently, faith communities in the UK have collaborated on the innovative and influential “Living Wage” which could not have operated without the support of churches and mosques in East London. Make Poverty History may have had rock stars at the top but there were an awful lot of unsung believers sustaining the campaign. Faith groups joined together to condemn the atrocities of 9/11 and 7/7. Today, inter-faith activity stretches from social action and campaigns for human rights to education and arts projects.



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For a comparative sociology of the political integration of the Muslim citizens in the two societies of Great-Britain and the United States :
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Malinovitch, Nadia, The Americanization of Islam in the Contemporary United States, p.100-112.
Key words : Islam, United States, Integration, Minorities, Religion. Muslims in the United States : between acculturation and isolation.
Raising Muslim. American children. Keeping the Faith through Progressive child-rearing.
Islamic Day Schools and the Debate on values.
Islamic Day schools as a Vehicle of Americanization.
Past September 11 and the emergence of New Muslim American voices.


[1] Martin Jacques, New Statesman, 8 June 2009. « We need an earthquake »

[2] Richard Reeves, New Statesman, April 2006.
[3] Richard Raves, New Statesman, April 2006, « Should the state »Do God »? »
[4] R. Bocock, Religion and ideology, p.219-220, « Reader open university Set Book”
[5] Laurie Taylor, The New Humanist, « He did God », May-June 2007, p.3.
[6] Anthony Giddens, « Over to you, Mr Brown », How Labour can wing again. P.145
[7] Anthony Giddens, Over to you, Mr Brown, p.151
[8] Jason Cowley, « The Great Survivor ».
[9] Anthony Giddens, Over to you, Mr Brown, pp.154-155. “No giving up on multiculturalism.”


[10] Richard Dawkins, The Tony Blair Foundation.
[11] Stuart White, « Thinking the future ».
[12] Jon Cruddas, New Statesman, September 2009.
[13] Taylor Laurie, New Humanist, June 2007. « He did God ».